Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 14, 1838.djvu/112

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repas n’empêcha pas les femmes de manger avec appétit quoique modérément ; mais Roland Græme avait été accoutumé à une autre nourriture. Sir Halbert Glendinning affectait de tenir sa maison avec une grandeur peu ordinaire, et offrait une hospitalité qui rivalisait avec celle des barons du nord de l’Angleterre. Peut-être pensait-il par là jouer plus complètement le rôle pour lequel il était né, selon lui, c’est-à-dire celui d’un grand baron et d’un chef. Lorsque le maître était au château, on consommait, par semaine, deux bœufs et six moutons, et la différence était peu considérable lorsqu’il était absent. La consommation d’ale et de pain était proportionnée ; on les livrait à la discrétion des domestiques et de la suite du baron. Et c’était dans cette maison d’abondance que Roland Græme avait passé plusieurs années : mauvaise préparation pour un repas de légumes bouillis et d’eau de fontaine. Il laissa probablement apercevoir quelque chose de son désappointement, car l’abbesse lui dit : « Sans doute, mon fils, la table du baron hérétique, auquel vous avez été attaché, était plus somptueuse que celle de pauvres filles de l’Église, et pourtant, quand le soir des fêtes solennelles, j’admettais les religieuses à ma table, les mets exquis que l’on nous servait étaient bien loin de me paraître aussi délicieux que ces légumes et cette eau, dont j’aime mieux me nourrir que de déroger à la rigidité de mon vœu. Il ne sera jamais dit que la maîtresse de cette maison en a fait une maison de festins ; quand les jours de ténèbres et d’affliction pèsent sur la sainte Église, dont je suis un membre indigne.

— C’est bien parlé, ma sœur, reprit Madeleine Græme ; mais le temps est venu non seulement de souffrir, mais d’agir pour la bonne cause. Maintenant que nous avons achevé notre repas de pèlerins, retirons-nous pour nous occuper de notre voyage de demain, pour aviser à la manière d’employer ces jeunes gens, et aux mesures à prendre pour suppléer à leur manque de réflexion et de prudence. »

Malgré la maigre chère qu’il avait faite, Roland Græme sentit son cœur tressaillir à cette proposition, qu’il croyait bien devoir amener un nouveau tête-à-tête entre lui et la jolie novice. Mais son espérance fut trompée. Catherine, à ce qu’il paraît, n’était pas disposée à lui accorder cette faveur ; car soit par délicatesse, soit par caprice, soit par quelqu’une de ces indéfinissables nuances qui tiennent de l’une et de l’autre, et par lesquelles les femmes se plaisent à tourmenter et en même temps à captiver le sexe le plus