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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 14, 1838.djvu/130

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et désirant ne pas irriter davantage les assaillants en cherchant à se défendre, demanda en grâce un moment de silence, et obtint à grand’peine qu’on voulût bien l’écouter. « Mes enfants, dit-il, je vous épargnerai un grand péché. Le portier va vous ouvrir. Il est allé chercher les clefs ; en attendant, voyez, je vous en prie, si vous êtes dans une situation d’esprit à passer ce seuil sacré.

— Au diable votre papisme ! répondit-on du dehors ; nous sommes comme des moines quand ils sont en gaieté, c’est-à-dire quand ils ont à souper du rostbeef au lieu de choux bouillis. Si donc votre portier n’a pas la goutte, qu’il se hâte, ou nous serons bientôt entrés… Est-ce bien dit, camarades ?

— Fort bien, et on agira en conséquence, » répondit la multitude. En effet, si les clefs n’étaient pas arrivées en ce moment, si le portier, dont la terreur hâtait les mouvements, ne se fût acquitté promptement de sa charge, et n’eût ouvert les deux battants de la grande porte, la populace lui en eût évité la peine. Dès qu’il eut ouvert, il s’enfuit épouvanté, comme si, ayant lâché une écluse, il eut craint d’être entraîné par la force du torrent. Les moines s’enfuirent tous ensemble : mais l’abbé resta seul à sa place, à quelques pas de l’entrée, sans donner le moindre signe de crainte ou de trouble. Alors les frères, encouragés par son dévouement, honteux de l’abandonner, et aussi animés par la conscience de leur devoir, se rangèrent derrière leur supérieur. Ce furent de bruyants rires, des acclamations quand la porte s’ouvrit ; mais les assaillants ne se précipitèrent pas en furieux dans l’église, comme on avait pu le prévoir. Au contraire, un cri s’élevait : « Halte ! halte ! en rangs, camarades ! et laissez les deux révérends pères se souhaiter le bonjour comme ils l’entendront. »

Le spectacle offert par la multitude qui recevait l’ordre de se mettre en rangs était des plus grotesques. C’étaient des hommes, des femmes, des enfants bizarrement déguisés sous différents costumes, et formant des groupes aussi variés que plaisants. Là, un gaillard avec une tête de cheval par devant et une queue par derrière, couvert de la tête aux pieds d’une longue robe qui était supposée cacher le corps de l’animal, allait l’amble, caracolait, se cabrait, galopait, enfin remplissait le rôle fameux du cheval de bois auquel on fait si souvent allusion dans nos anciennes pièces, et qui est encore en honneur sur la scène dans la bataille qui termine la tragédie de Bayes[1]. Pour rivaliser avec cet acteur en

  1. Voyez the Rehearsal (la Répétition), comédie par le duc de Buckingham.