que j’ai perdues. Il fut aide-sommelier dans cette bienheureuse maison pendant trois mois ; et avec ses mécomptes, ses erreurs, ses méprises, ses friponneries, s’il fût resté trois mois de plus chez moi, j’aurais été obligé de mettre à bas mon enseigne, de fermer ma maison et de donner la clef à garder au diable.
— Vous seriez fâché, malgré tout, si je vous disais que le pauvre Michel Lambourne a été tué à la tête de son régiment, à l’attaque d’un fort, près Maëstricht.
— Fâché ! ce serait la plus heureuse nouvelle que j’eusse apprise sur son compte ; car alors je serais sûr qu’il n’a pas été pendu. Mais n’en parlons plus ; je crains bien que sa fin ne fasse jamais autant d’honneur à ses amis. Si cependant il en était ainsi, parlez, » ajouta-t-il en lui versant un autre verre de vin ; « je dirais de tout mon cœur : Que Dieu lui fasse paix !
— Bon ! ne craignez rien, votre neveu vous fera encore honneur, surtout si c’est le Michel Lambourne que j’ai connu et que j’aimais presque autant que moi-même. Ne sauriez-vous m’indiquer quelque marque à laquelle je pourrais reconnaître si c’est celui-là ?
— Ma foi, aucune que je sache, excepté que notre Michel avait la potence marquée sur son épaule gauche, pour avoir volé un gobelet d’argent à dame Snort de Hogsditch[1].
— Vous mentez comme un coquin, mon oncle, dit l’étranger en rabattant sa fraise et découvrant son cou et son épaule ; et, par ce beau jour ! mon épaule est aussi nette que la vôtre.
— Quoi ! Michel, mon garçon, s’écria l’hôte, c’est tout de bon ? Vraiment ! je m’en doutais depuis une demi-heure ; car je ne connais personne qui eût pris moitié tant d’intérêt à toi. Mais, Mike, si ton épaule est aussi nette, conviens que Goodman Thong[2], le bourreau, a été bien débonnaire et t’a marqué avec un fer froid.
— Fi ! mon oncle, trêve à vos plaisanteries ; gardez-les pour assaisonner votre ale sure, et voyons quel accueil cordial vous allez faire à un parent qui a roulé le monde pendant dix-huit ans, qui a vu le soleil se lever où il se couche, et qui a voyagé jusqu’à ce que l’occident fût devenu pour lui l’orient.
— Tu as rapporté, Michel, à ce que je vois, un des talents des voyageurs ; mais tu n’avais pas besoin de voyager pour l’acquérir.