Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 15, 1838.djvu/314

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presque toute l’Angleterre, fût aussi au fait des chemins de traverse que des grandes routes qui sillonnent le beau comté de Warwick ; car si grande était la foule qui de toutes parts se pressait vers Kenilworth, pour voir l’entrée de la reine dans cette splendide demeure de son premier favori, que les principaux chemins étaient maintenant obstrués et impraticables, et que c’était seulement par des sentiers détournés que les voyageurs pouvaient achever leur route.

Les pourvoyeurs de la reine s’étaient répandus dans les environs, enlevant dans les fermes et dans les villages toutes les provisions qu’on exigeait d’ordinaire dans les tournées royales, provisions dont les propriétaires obtenaient ensuite le paiement tardif de la cour du Tapis vert[1]. Les officiers de la maison du comte de Leicester avaient aussi parcouru le pays pour le même objet ; et plusieurs des amis et des parents, proches ou éloignés, de ce puissant personnage avaient saisi cette occasion de se mettre dans ses bonnes grâces, en envoyant des voitures de provisions et de friandises de toute espèce, ainsi qu’une énorme quantité de gibier et des tonneaux des meilleurs boissons anglaises ou étrangères. Les grandes routes étaient donc couvertes de troupeaux de bœufs, de moutons, de veaux et de porcs, et encombrées de pesantes charrettes, dont les essieux criaient sous le poids des barriques de vin, des tonnes d’ale, des paniers d’épiceries, des pièces de gibier, des viandes salées et des sacs de farine. À chaque instant la circulation était arrêtée par ces voitures qui s’accrochaient entre elles ; et leurs grossiers conducteurs, jurant et criant jusqu’à ce que leurs brutales passions fussent excitées au dernier degré, ne tardaient pas à se disputer le pas avec leurs fouets et leurs bâtons. Ces rixes se terminaient d’ordinaire par l’intervention de quelque pourvoyeur attaché au grand prévôt, ou de quelque autre agent de l’autorité, qui tombait indistinctement sur les deux parties.

Il y avait en outre des comédiens, des baladins, des jongleurs et des charlatans de toute espèce, qui suivaient par joyeuses bandes les chemins conduisant au palais du Plaisir royal ; car c’était ainsi que les ménestrels ambulants avaient baptisé Kenilworth dans les chansons qui avaient déjà paru par anticipation sur les fêtes qui devaient avoir lieu. Au milieu de ce bizarre assemblage, des mendiants étalaient leurs infortunes réelles ou prétendues, contraste étrange, quoique fort ordinaire, entre les vanités et les misères de

  1. C’est ainsi qu’en France nous avions jadis les requêtes de l’hôtel. a. m.