Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 15, 1838.djvu/396

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l’éviter, les paroles impérieuses et les gestes menaçants de la reine offensée ne lui permettant plus d’hésiter, Amy répondit enfin, dans son désespoir : « Le comte de Leicester sait tout.

— Le comte de Leicester ! dit Élisabeth avec le plus profond étonnement. Le comte de Leicester ! répéta-t-elle enflammée de colère. Femme, tu es poussée à parler ainsi, tu le calomnies ; il ne s’occupe pas de créatures comme toi ; tu es payée pour noircir le plus noble lord, le plus loyal gentilhomme de l’Angleterre. Mais fût-il notre bras droit, le dépositaire de notre confiance, nous fût-il même quelque chose de plus cher encore, tu seras entendue, et cela en sa présence. Viens avec moi… viens avec moi sur-le-champ. »

Amy recula d’effroi, mouvement que la reine attribua à une conscience coupable. Élisabeth, s’avançant avec précipitation, la saisit par le bras, et, se hâtant de sortir de la grotte, parcourut d’un pas rapide la grande allée du jardin, entraînant avec elle la comtesse épouvantée qu’elle continuait de tenir par le bras, et qui pouvait à peine suivre la reine indignée.

Leicester était dans ce moment au centre d’un groupe brillant de seigneurs et de dames assemblées sous un portique qui terminait l’allée. La compagnie s’était réunie dans cet endroit et attendait les ordres de Sa Majesté pour la chasse. On peut se figurer l’étonnement général quand, au lieu de voir Élisabeth s’avancer avec la dignité mesurée qui lui était habituelle, on l’aperçut marchant si rapidement qu’elle était au milieu du groupe avant qu’on y songeât, et lorsqu’on remarqua avec crainte et surprise que ses traits étaient enflammés de colère et d’indignation, que ses cheveux s’étaient détachés dans la précipitation de sa marche, et que dans ses regards se peignait l’âme de Henri VIII. L’étonnement ne fut pas moins grand à l’aspect de la femme pâle, exténuée, mourante, mais belle encore, que la reine tenait avec force d’une main, tandis que de l’autre elle écartait les nobles et les dames qui s’étaient pressés autour d’elle dans l’idée d’une indisposition subite. « Où est milord Leicester ? » demanda-t-elle d’un ton qui fit tressaillir de surprise tous les courtisans qui l’entouraient. « Avancez, milord Leicester. »

Si au milieu du jour le plus serein de l’été, quand tout est rayonnant d’allégresse et de clarté, la foudre venait à tomber de la voûte azurée du ciel, et entr’ouvrir la terre aux pieds de quelque voyageur étonné, sa surprise et sa crainte en contemplant l’abîme ouvert sous ses pas d’une manière si inattendue, ne sauraient égaler celles que Leicester éprouva à ce spectacle imprévu. Il venait de