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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/117

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manières propre à exciter la sympathie et à captiver l’attention. Mordaunt s’assit sur le roc qu’elle lui montrait, fragment qui, comme beaucoup d’autres épars alentour, avait été entraîné par quelque tempête d’hiver du haut du précipice au bord du lac ; Norna prit place elle-même sur une pierre à quelque distance, arrangea son manteau de manière à ne laisser voir sous son capuchon d’étoffe grossière que son front, ses yeux, et une seule mèche de ses cheveux gris ; alors elle continua d’un ton où l’importance et la dignité imaginaires que prennent souvent les lunatiques semblaient lutter contre la douleur poignante d’une affliction extraordinaire et profondément enracinée.

« Je ne fus pas toujours, dit-elle, ce que je suis à présent : je ne fus pas toujours la femme sage, puissante, redoutable, devant qui les jeunes se tiennent confus, et les vieux découvrent leurs têtes blanches. Il fut un temps où ma présence n’imposait pas silence à la joie, où je payais tribut aux passions humaines, où je partageais les plaisirs et les peines du monde. C’était un temps de faiblesse, c’était un temps de folie… c’était un temps de gaîté vaine et sans cause… c’était un temps de larmes sans motifs… et pourtant, avec ses folies, ses chagrins et ses faiblesses, combien Norna de Filful-Head donnerait pour être encore la simple et heureuse fille qu’elle était dans ses premières années ! Écoute-moi, Mordaunt, et console-moi, car je te confie des douleurs dont le récit n’a jamais retenti dans une oreille mortelle, et que des oreilles mortelles n’entendront jamais. Je serai ce que je dois être, » ajouta-t-elle en se levant et en étendant son bras maigre et décharné, « la protectrice et la reine de ces îles sauvages et incultes… Je serai celle dont les vagues de la mer ne mouillent pas les pieds sans sa permission, fussent-elles au comble de la fureur et de la rage… celle dont les tourbillons respectent la robe, lors même qu’ils arrachent le toit des maisons de dessus leurs fortes solives. Rends-moi témoignage, Mordaunt Mertoun… tu entendis mes paroles à Harfra… tu vis la tempête tomber à ma voix… parle, rends-moi témoignage. »

L’interrompre au milieu du torrent de son enthousiasme, c’eût été une cruauté gratuite, quand même Mordaunt aurait été fermement convaincu qu’il avait sous les yeux une femme insensée et non un être surnaturel.

« Je vous ai entendue chanter, répondit-il, et j’ai vu l’ouragan se calmer. — Se calmer ! » s’écria Norna en frappant la terre avec impatience de son bâton de chêne noir ; « tu ne dis la vérité qu’à