Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/139

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mortalité de son poème ? Et certainement, le grand poète anglais, comme vous le dites souvent, était plus âgé que vous lorsqu’il prit la rame en main parmi tous les beaux esprits de Londres. »

Ceci avait rapport à une histoire qui était le cheval de bataille d’Halcro, et la moindre allusion de ce genre suffisait pour le remettre soudain en selle, et pour lancer son bizarre coursier en pleine carrière.

Son œil riant s’enflamma d’une sorte d’enthousiasme, que les gens ordinaires du monde auraient appelé folie, tandis qu’il entamait le sujet dont il aimait le mieux à parler. « Hélas, hélas ! mon cher Mordaunt… l’argent est de l’argent, et ne se ternit pas à l’usé… l’étain est de l’étain, mais l’usage le rend terne. Le pauvre Claude Halcro n’a point de droit de se nommer dans la même année que l’immortel John Dryden. La vérité est, comme je puis déjà vous l’avoir dit, que j’ai vu ce grand homme, que je l’ai vu au café des Beaux Esprits, comme on l’appelait alors, et que j’ai pris une fois une prise de tabac dans sa propre tabatière. Je dois vous avoir dit comment cela se fit ; mais voilà le capitaine Cleveland qui n’a jamais entendu mon histoire. Il faut vous dire que je logeais dans Russell-Street près de Covent-Garden, capitaine Cleveland. — Je connais assez bien cette latitude, monsieur Halcro, » répondit le capitaine en souriant ; « mais je crois que vous m’avez raconté l’aventure hier ; et d’ailleurs il faut songer aux affaires du jour… il faut nous répéter cette chanson que nous avons à étudier. — Cet air ne peut plus aller maintenant, dit Halcro, il faut en prendre un autre qui convienne à notre cher Mordaunt, la première voix de l’île pour une partie ou un solo. Ce ne sera point moi qui vous accompagnerai, à moins que Mordaunt Mertoun ne soit des nôtres… Qu’en dites-vous, ma belle Nuit ?… qu’en pensez-vous, ma douce Aurore ? » ajouta-t-il en s’adressant aux deux personnes auxquelles il avait donné depuis long-temps ces noms allégoriques.

« M. Mordaunt Mertoun, répondit Minna, est venu trop tard pour être de la partie cette fois… c’est un grand malheur pour nous, mais il est impossible d’y remédier. — Comment ! qu’est-ce ? » s’écria Halcro brusquement… « trop tard !… et vous avez toujours chanté ensemble… Croyez-moi, mes charmantes filles, les vieux airs sont les plus jolis, et les vieux amis les plus sûrs. M. Cleveland a une belle basse, il faut l’avouer ; mais je voudrais, pour frapper le premier coup, que vous eussiez recours à un de ces vingt beaux airs que vous savez, où le ténor de Mordaunt vous aide si bien à ensorceler le monde… Voilà mon charmant Jour qui approuve ce