Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/179

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Brenda, il faut que je vous quitte à l’instant ; ce que j’ai à vous dire n’a point rapport à vous, mais à un autre… bref, à ma sœur Minna. Je n’ai point à vous parler de son mécontentement contre vous, mais de pénibles inquiétudes à vous confier, au sujet de l’attention qu’il lui accorde. — Cette attention est manifeste, visible, frappante, et à moins que mes yeux ne m’abusent, fort bien reçue, si même elle n’est pas payée de retour. — Voilà la vraie cause de ma frayeur ; moi aussi, je fus séduite par l’extérieur, les manières franches et la conversation romanesque de cet homme. — Son extérieur ! oui, il est vigoureux et bien membré. Mais comme le vieux Sinclair de Quendale disait à l’amiral espagnol : « Au diable sa face ! j’en ai vu de plus belles à bien des pendus de Borough-Moor… » Quant à ses manières, ce sont celles d’un capitaine corsaire… et sa conversation ressemble au jargon d’un joueur de marionnettes ; car il ne parle guère que de ses exploits. — Vous vous trompez ; il ne parle que trop bien de tout ce qu’il a vu et appris ; d’ailleurs, il est allé réellement dans beaucoup de pays éloignés, il a pris part à beaucoup de chaudes actions, et il peut en parler avec autant d’esprit que de modestie. Vous croiriez voir le feu et entendre le bruit des canons. Il sait prendre tous les tons… Il nous entretient des arbres et des fruits délicieux des climats éloignés, des usages de certains peuples qui ne portent pas, toute l’année, de vêtements à moitié si chauds que nos robes d’été, et n’usent guère que de mousselines et de linons. — Sur ma parole, Brenda, il paraît bien comprendre la manière d’amuser de jeunes dames. — Oh ! oui, » dit Brenda avec la plus grande simplicité ; « je vous assure que d’abord je l’aimais plus que Minna ne l’aime. Et pourtant, quoiqu’elle soit beaucoup plus instruite que moi, je connais mieux le monde qu’elle, car j’ai vu plus de villes, moi. J’ai été à Kirkwall une fois, outre que j’avais été trois fois à Lerwick, lorsque les vaisseaux hollandais y étaient en rade ; on aurait donc de la peine à me tromper. — Et s’il vous plaît, Brenda, pourquoi êtes-vous portée à penser moins favorablement de ce jeune aventurier, qui semble si séduisant ? — Ma foi, au commencement, » répondit Brenda, après un moment de réflexion, « il était beaucoup plus aimable, les histoires qu’il contait n’étaient ni si tristes, ni si terribles ; il riait et dansait davantage. — Et peut-être alors dansait-il plus souvent avec Brenda qu’avec sa sœur ? — Non… je ne pense pas ; et pourtant, pour dire la vérité, je n’ai pu concevoir le moindre soupçon contre lui, tant qu’il nous a également donné