Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/180

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son attention à toutes deux ; car vous savez qu’alors il n’aurait pas pu nous être plus que vous-même, Mordaunt Mertoun, plus que le jeune Swaraster, ou tout autre jeune homme des îles. — Mais alors pourquoi vous répugne-t-il de le voir rechercher votre sœur ?… Il est riche, il paraît l’être du moins. Vous dites qu’il est accompli et fort aimable… que désirez-vous encore dans un amant pour Minna ? — Mordaunt, vous oubliez qui nous sommes, » répondit la jeune fille en prenant un air de dignité qui n’allait pas moins bien à son naïf visage que le son différent dans lequel elle avait parlé jusque-là. « C’est un petit monde pour nous que ces îles Shetland ; il est peut-être inférieur, du moins les étrangers le disent, aux autres parties de la terre ; mais ce n’en est pas moins notre petit monde, et les filles de Magnus Troil y tiennent un certain rang. Il conviendrait peu, je pense, à nous qui descendons des rois de la mer et des anciens comtes, de nous jeter dans les bras d’un étranger qui aborda sur nos côtes, comme un oiseau au printemps, sans qu’on sache d’où il vient, et qui peut repartir à l’automne pour aller on ne sait où. — Et qui cependant peut décider une Shetlandaise aux yeux d’or à l’accompagner dans sa migration ? dit Mordaunt. — Je ne souffrirai pas qu’on plaisante sur un pareil sujet, » répondit Brenda avec indignation ; « Minna est, comme moi, fille de Magnus Troil, l’ami des étrangers, mais le père de l’Hialtland. Il leur donne l’hospitalité dont ils ont besoin ; mais que le plus orgueilleux ne pense pas qu’il peut à son gré s’allier à sa maison. »

Elle prononça ces mots avec une extrême chaleur, qui diminua aussitôt, tandis qu’elle ajoutait : « Non, Mordaunt, ne supposez pas que Minna Troil soit capable d’oublier assez ce qu’elle doit à son père et au sang de son père pour penser à prendre ce Cleveland pour époux ; mais elle peut lui prêter assez long-temps l’oreille pour compromettre son bonheur futur. Elle a une de ces âmes où certains sentiments prennent une profonde racine. Vous souvenez-vous d’Ulla Storlson qui gravissait chaque jour le faîte de Vossdale-Head pour épier le vaisseau de son amant qui ne devait jamais revenir ? Quand je pense à sa démarche lente, à ses joues pâles, à ses yeux qui devenaient de moins en moins brillants, comme la lampe qui s’éteint, faute d’huile… quand je me rappelle le regard animé d’une sorte d’espérance avec lequel le matin elle montait au sommet de ce rocher, et le désespoir profond et terrible qui pesait sur son front au retour… quand je songe à tout cela, pouvez-vous être surpris