Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/189

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sans honte céder si aisément : « Suum cuique tribulto, dit-il, je défendrai les droits de milord et les miens. — Oui vraiment ? répliqua Magnus ; eh bien, par les os du martyr, vous n’aurez pas droit à d’autre part qu’à celle de Dieu et de saint Olave, que nous connaissions avant d’avoir ouï parler de facteur, de trésorier ou d’amiral… tous ceux-là partageront qui mettront la main à l’œuvre, et personne autre… Vous donc, monsieur le facteur, vous travaillerez tout comme nous, et comme nous encore vous vous estimerez heureux de partager. Sautez dans cette barque (car les barques avaient enfin doublé le promontoire). Et vous, mes enfants, faites place au facteur, donnez-lui la place périlleuse… c’est lui qui, dans ce malheureux jour, frappera le premier la baleine. »

La grosse voix, le ton d’autorité et l’habitude d’un commandement absolu qui dominait dans toutes les manières de l’udaller, et la voix de la conscience qui disait à Triptolème qu’il n’avait ni partisans ni amis dans le reste de la société, firent qu’il lui fut extrêmement difficile d’éluder une telle mission, quoique l’Écossais dût être ainsi placé dans une situation aussi nouvelle que dangereuse. Il hésitait pourtant encore, et tâchait de s’excuser d’une voix où la colère était dominée par la crainte : déguisant mal ses véritables sentiments par une tentative facétieuse, il allait essayer de présenter ce qu’il avait avancé comme une pure plaisanterie, quand il entendit la voix de Baby marmotter à son oreille : « Voulez-vous perdre votre part d’huile ? Nous voilà bientôt au long hiver des îles Shetland, pays où le jour le plus clair de décembre n’est pas si beau qu’une nuit sans lune dans les Mearns. »

Cette instigation domestique, la peur que lui inspirait l’udaller, et la honte de paraître moins courageux que les autres, enflammèrent tellement l’ardeur de l’agriculteur, qu’il se mit à brandir sa fourche, et entra dans la barque avec l’air de Neptune lui-même qui agite son trident.

Les trois bateaux destinés à cette périlleuse entreprise se dirigèrent alors vers la sombre masse qui gisait comme un îlot dans la partie la plus profonde du Woe, et qui se laissa approcher sans laisser paraître le moindre signe de vie. En silence, et avec autant de précaution qu’une opération aussi délicate en exigeait, les intrépides pêcheurs, après avoir échoué une fois et perdu un temps considérable, réussirent à jeter un câble autour du corps de ce monstre engourdi, et à en reporter les deux bouts au rivage, où cent mains se mirent aussitôt en devoir de les attacher. Mais, avant