Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/188

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tranquille dans la partie la plus profonde du Woe où il s’était lancé, et où il paraissait attendre le retour de la marée, dont son instinct l’assurait probablement. Un conseil de harponneurs expérimentés s’assembla aussitôt, et il fut décidé qu’on tenterait d’enserrer la queue de ce léviathan engourdi au moyen d’un fort câble qu’on attacherait ensuite au rivage par des ancres, pour l’empêcher ainsi de s’échapper en cas que la marée revînt avant qu’on pût l’expédier. Trois barques furent désignées pour cette périlleuse tentative : le vieil udaller se proposa pour en commander une, tandis que, Cleveland et Mertoun devaient diriger les autres. Ces précautions une fois prises, on s’assit sur le rivage, attendant avec impatience que les forces navales arrivassent à l’entrée du Woe. Ce fut durant cet intervalle que Triptolème Yellowley, après avoir mesuré des yeux la taille extraordinaire de la baleine, observa que, selon ses faibles lumières, « un attelage de six bœufs, ou de soixante si on prenait des bœufs du pays, ne pourrait tirer un si grand monstre hors de l’eau où il était étendu. »

Cette remarque, si futile qu’elle puisse sembler au lecteur, se rattachait à un sujet qui échauffait toujours le sang du vieil udaller ; et lançant alors sur Triptolème un sévère et sauvage regard, il lui demanda à quoi diable il en voulait venir, en supposant que même cent bœufs ne pourraient tirer la baleine sur le rivage. M. Yellowley, quoique peu charmé du ton avec lequel la question était posée, sentit qu’il était de sa dignité et de son profit de faire la réponse suivante : « À coup sûr vous devez savoir, monsieur Magnus Troil, et tout le monde sait, pour peu qu’on sache la moindre chose, que les baleines trop monstrueuses pour être tirées de l’eau au moyen d’un attelage de six bœufs, sont de droit la propriété de l’amiral qui, en ce moment, se trouve être le noble lord, chambellan de ces îles. — Et je vous dis, moi, monsieur Triptolème Yellowley, répliqua l’udaller, comme je le dirais à votre maître s’il était là, que toute personne qui risque sa vie pour ôter cette bête de l’eau en aura sa part et portion, suivant nos anciennes et excellentes coutumes norses ; même si, parmi les fillettes qui nous regardent, il en est une qui touche seulement le câble, elle partagera avec nous ; oui, et pour peu qu’elle nous allègue quelque raison, nous garderons une part au poupon qui n’est pas né. »

Le strict principe d’équité qui dictait ce dernier arrangement occasionna un long rire parmi les hommes, et quelque peu de confusion parmi les femmes. Le facteur cependant pensa qu’il ne pouvait