Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/191

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harpons et épieux pleuvaient sur lui de tous côtés… on lui tirait des coups de fusil, et l’on n’épargnait aucun moyen possible pour l’exciter à épuiser sa force en une rage inutile. Quand le colosse sentit qu’il était environné de tous côtés par des bas-fonds, et s’aperçut en même temps qu’il était retenu par le câble, les efforts convulsifs qu’il fit pour échapper, accompagnés de sons qui ressemblaient à de longs et profonds gémissements, eussent ému de compassion toute autre espèce de gens que des hommes habitués à la pêche de la baleine. Les jets d’eau qu’il ne cessait de lancer en l’air commençaient à se rougir de sang, et les flots qui l’entouraient prenaient aussi une teinte rougeâtre. Cependant les efforts des assaillants redoublaient ; mais Mordaunt et Cleveland, en particulier, luttaient à qui déploierait le plus de courage en approchant du colosse, si terrible dans son agonie, et porterait dans ses larges flancs la blessure la plus profonde et la plus mortelle.

Enfin le combat ne semblait plus douteux ; car, quoique l’animal continuât de temps à autre à se débattre en désespéré, pourtant ses forces paraissaient tellement épuisées, que même avec le secours de la marée, qui alors était très haute, il semblait impossible qu’il pût reconquérir sa liberté.

Magnus donna le signal pour qu’on attaquât la baleine de plus près : « En avant ! mes amis, » s’écria-t-il à tue-tête ; « elle n’est plus si méchante actuellement… Maintenant, monsieur le facteur, recueillez de l’huile pour entretenir cet hiver deux lampes à Harfra… Plus près encore, mes enfants ! »

Avant que ses ordres pussent être exécutés, les deux autres barques l’avaient prévenu ; et Mordaunt Mertoun, jaloux de se distinguer plus que Cleveland, de toute la force dont il était capable, avait plongé une demi-pique dans le corps du monstre. Mais le léviathan, comme une nation dont les ressources semblent totalement épuisées par des pertes et des calamités précédentes, rassembla toute la vigueur qui lui restait pour un dernier effort, qui ne fut pas moins heureux que désespéré. La dernière blessure qu’il venait de recevoir avait probablement pénétré ses défenses extérieures de graisse, et atteint quelque partie fort sensible du système nerveux, car il rugit effroyablement, tandis qu’il lançait jusqu’aux cieux une colonne d’eau mêlée de sang ; et brisant le gros câble comme une ficelle, il renversa la barque de Mordaunt d’un coup de sa queue, s’élança par un effort surprenant au dessus de la barre que la marée recouvrait alors d’eau jusqu’à une certaine hauteur, et rentra en