Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/192

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mer, emportant tout une forêt des dards qu’on avait fichés sur son corps, et laissant derrière lui sur les vagues une trace rougeâtre.

« Voilà votre cruche d’huile qui tomber dans la mer, monsieur Yellowley, dit Magnus, et il vous faudra brûler du suif de mouton, ou aller au lit sans lumière. — Operam et oleam perdidi, murmura Triptolème ; mais s’ils me reprennent jamais à pêcher des baleines, je veux bien que le monstre m’avale, comme il avala Jonas. — Mais où donc est Mordaunt Mertoun ? » s’écria Claude Halcro ; et l’on s’aperçut alors que le jeune homme qui avait été submergé, lorsque la barque avait coulé bas, ne pouvait gagner le rivage en nageant comme faisaient les autres pêcheurs, et flottait évanoui sur les vagues.

Nous avons mentionné l’étrange et inhumain préjugé qui rendait les Shetlandais de cette époque fort peu disposés à secourir un homme qu’ils voyaient près de se noyer, quoique ce fût un malheur auquel les insulaires se trouvaient fort sujets. Trois personnes pourtant foulèrent aux pieds cette superstition. La première fut Claude Halcro, qui s’élança dans la mer d’un petit roc qui dominait les flots, en oubliant, comme il l’avoua ensuite lui-même, qu’il ne savait pas nager, et que, s’il avait la harpe d’Arion, il n’avait pas de dauphin pour lui servir d’escorte. Le premier plongeon dans les profondeurs de l’abîme lui rappela toute son incapacité ; il lui fallut gravir une seconde fois le rocher d’où il avait sauté, et il dut s’estimer fort heureux de regagner le rivage, sans autre mal qu’un bain de mer.

Magnus Troil, se livrant à sa bonté naturelle, et oubliant la froideur qu’il avait témoignée à Mordaunt, lorsqu’il vit le jeune homme en péril, lui aurait aussitôt porté un secours plus efficace, si Éric Scambester ne l’eût pas retenu.

« Holà, monsieur ! ho… là ! s’écria ce fidèle serviteur ; le capitaine Cleveland a empoigné M. Mertoun… Laissons ces deux étrangers se secourir l’un l’autre et en courir les risques. Ce n’est pas pour de telles gens qu’il faut éteindre la lumière de notre pays… Encore une fois, arrêtez, monsieur ! On ne peut pas repêcher un homme dans le Woe de Brendess comme une rôtie dans un bol de punch. »

Cette sage remontrance n’aurait pas produit le moindre effet sur Magnus, s’il n’eût pas observé que Cleveland s’était élancé de sa barque, et nageait au secours de Mertoun, qu’il soutint au dessus de l’eau jusqu’à ce qu’une barque vînt les secourir tous deux. Dès