Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/229

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aussitôt que certaines circonstances me permettront de la lui communiquer ; cependant, je vous le répète, vous avez mon secret, et j’ai plus d’un soupçon d’avoir reçu le vôtre en échange, quoique vous ne vouliez pas l’avouer. — Comment, Minna, voudriez-vous que je vous révélasse un sentiment du genre de ceux auxquels vous faites allusion, avant qu’il eut été prononcé une seule parole qui pût justifier une telle confession. — Sûrement non ; mais un feu caché peut se découvrir par la chaleur aussi bien que par la flamme. — Vous connaissez bien ces signes, Minna, dit Brenda en baissant la tête, après s’être vainement efforcée de résister à la tentation d’une repartie que lui suggérait la remarque de sa sœur ; « mais je puis seulement dire que si j’aime jamais, il faudra qu’avant on m’ait fait une ou deux déclarations au moins, et pareille chose ne m’est pas encore arrivée. Mais n’allons pas recommencer la dispute ; songeons plutôt au motif qui a poussé Norna à nous raconter cette horrible histoire, et au fruit que nous devons en tirer. — Son motif était de nous donner un avertissement… un avertissement que notre position, et je ne le nierai pas, que la mienne en particulier, semblait tant demander… mais je m’en remets à mon innocence et à l’honneur de Cleveland. »

Brenda avait bonne envie de répliquer que le dernier lui inspirait beaucoup moins de sécurité que la première ; mais elle était prudente ; et craignant de réveiller leur pénible discussion, elle répliqua seulement : « Il est étrange que Norna ne nous ait rien dit de plus sur son amant ; sûrement il n’a pu l’abandonner au comble de la misère où il l’avait réduite ? — Il peut exister des agonies de chagrin, » dit Minna après un moment de silence, « où le cœur saigne tellement qu’il cesse de répondre, même aux sentiments qui l’ont le plus dominé… Son inquiétude pour son amant a pu s’engloutir dans l’horreur et le désespoir. — Ou peut-être cet amant s’enfuit-il de l’île par crainte de la vengeance de notre père. — S’il put, par crainte et manque de cœur, » répondit Minna en levant les yeux, « fuir la vue de l’infortune qu’il avait occasionnée, j’espère que l’infâme a long-temps épuisé en ce monde la punition que le ciel réserve au plus scélérat, au plus vil des traîtres et des lâches… Venez, ma sœur, on doit nous attendre pour déjeuner. »

Et elles sortirent bras dessus bras dessous, avec beaucoup plus de confiance qu’il n’en existait entre elles depuis un certain temps : la petite querelle qui avait eu lieu ressemblait à une de ces bourras-