Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/318

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sûr d’un bon souper avec deux bouteilles de liqueur, que je l’ai jamais été de ma vie ; et voilà qu’il nous faut tous décamper. Et puis c’est la voix dolente de cette pauvre Brenda ; c’est la mélancolique question : Qu’allons-nous faire ? où irons-nous coucher ? De bonne foi, à moins qu’un de ces drôles, qui n’avaient pas besoin de tourmenter la pauvre femme, en mettant le couvert avant qu’on ne leur en donnât l’ordre, ne répare sa faute en nous nommant quelque port voisin et sous notre vent, nous n’avons rien de mieux à faire que de nous diriger sur Burgh-Westra au moyen du crépuscule, et de nous tirer comme nous pourrons du voyage. J’en suis seulement fâché pour vous, mes enfants ; car moi j’ai fait plus d’une croisière avec moins de vivres que nous ne paraissons devoir en trouver. J’aurais seulement voulu sauver un morceau pour vous, et une goutte à boire pour moi ; alors on n’aurait pas eu beaucoup à se plaindre. »

Les deux sœurs assurèrent l’udaller qu’elles ne se sentaient aucun besoin de manger.

« Ma foi, c’est fort heureux, répliqua Magnus ; et, en ce cas, je ne me plaindrai pas de mon propre appétit, qui est plus vif qu’il ne le faudrait. Oh ! ce bandit de Nicolas Strumfer, quelle œillade il m’a lancée en jetant ma bonne eau-de-vie dans l’eau salée ! Il grimaçait, le coquin, comme un veau marin sur un rocher. Si ce n’eût été la peur de déplaire à ma pauvre cousine Norna, j’aurais envoyé son corps mal tourné et sa tête mal bâtie après ma chère bouteille, aussi sûr que saint Magnus est enterré à Kirkwall. »

Cependant les domestiques revinrent avec les chevaux, qu’ils n’avaient pas eu de peine à reprendre. Ces animaux n’avaient rien trouvé d’assez attrayant dans les pâturages où on les avait laissés courir en liberté, pour avoir envie de refuser de se soumettre de nouveau à la selle et à la bride. La perspective des voyageurs redevint un peu plus riante lorsqu’ils apprirent que les charges de leurs chevaux somptuaires n’avaient pas été tout-à-fait détruites. Un petit panier avait heureusement échappé à la rage de Norna et de Pacolet, par la rapidité avec laquelle un des domestiques s’en était saisi et l’avait emporté. Le même domestique, gaillard alerte et fécond en expédients, avait remarqué sur la côte, à trois milles environ du burgh, et à un quart de mille seulement si on suivait la route directe, un skio, c’est-à-dire une hutte de pêcheur, abandonné. Il suggéra à ses maîtres l’idée d’aller y chercher un asile pour la nuit ; au moins, disait-il, les chevaux auront le temps de se reposer, et les jeunes dames ne coucheront pas à la belle étoile.