Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/339

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vigoureux gaillards à nos ordres !… Je ne souhaiterais pas de revoir sitôt ces chétives bruyères et ces noirs rochers !… Et vous serez bientôt notre capitaine. Cette vieille brute de Goffe s’enivre comme un lord tous les jours ; il fait le rodomont ; il tire sur son équipage ou blesse son monde à coups d’épée. D’ailleurs, il s’est querellé si damnablement avec les insulaires, qu’ils veulent à peine nous laisser prendre des provisions et de l’eau à bord ; et nous nous attendons chaque jour à une rupture ouverte. »

Comme Bunce ne recevait pas de réponse, il se retourna soudain vers son compagnon, et remarquant que son attention était fixée autre part, il s’écria : « Mais que diable avez-vous donc ? que pouvez-vous voir dans tous ces misérables bateaux qui ne sont chargés que de poisson salé, de morue, d’oies enfumées et de tonneaux d’un beurre pire que du suif ? Toutes leurs cargaisons réunies ne vaudraient pas une amorce de pistolet… Non, non, donnez-moi à chasser un bâtiment comme nous en apercevions du grand mât, à la hauteur de l’île de la Trinité. C’est le Don, tirant de l’eau comme une baleine, pesamment chargé de rhum, sucre et carottes de tabac, avec tous ses lingots, ses moidores[1] sa poudre d’or ; alors hissez toutes les voiles, débarrassez le tillac, chacun à son poste ; arborez le joyeux Roger[2]… nous l’approchons… nous reconnaissons qu’il est bien monté, bien armé… — Vingt canons sur le deuxième pont, dit Cleveland. — Quarante si vous voulez, riposta Bunce, et nous n’en avons que dix en état… cela ne fait rien… Le Don lance la flamme d’un bout à l’autre… cela ne fait pas davantage. Mes braves amis, mettez-vous bord à bord, et vite à l’abordage… À l’ouvrage, maintenant, avec vos grenades, vos sabres, vos haches d’armes, vos pistolets… Le Don crie misericordia, et nous prenons la cargaison sans co licentia, senor[3]. — Sur ma foi, dit Cleveland, vous êtes si chaud au métier, que tout le monde peut s’apercevoir que les honnêtes gens n’ont rien perdu à ce que vous vous fissiez pirate. Mais vous ne me déciderez point à suivre davantage la route du diable avec vous ; car vous n’ignorez pas vous-même que ses faveurs ne durent guère. Vous savez comment, après une semaine ou un mois au plus, le rhum ou le sucre est parti, les carottes de tabac s’en sont allées en fumée, les moi-

  1. Pièce d’or portugaise qui vaut 32 fr. 40 c.a. m.
  2. Les pirates donnaient ce nom à un pavillon noir semé d’horribles emblèmes qui le rendaient effroyable. C’était leur enseigne favorite. w. s.
  3. Avec votre permission, monsieur. a. m.