Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/341

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suis prêt à le jurer. Les autres étaient de simples matelots… de misérables brigands de rien, valant à peine la corde qu’il aurait fallu pour les pendre. Mais votre nom occupe une place trop honorable sur la liste des gentilshommes de fortune pour que vous vous tiriez si aisément d’affaire. Vous êtes le vieux cerf qui mène le troupeau, et l’on vous soignera en conséquence. — Et pourquoi, je vous prie ? vous connaissez assez bien ma conduite. Jack ? — Frédéric, s’il vous plaît. — Au diable votre folie !… trêve d’esprit, je vous en conjure, et soyons graves pour un moment. — Pour un moment… soit ! mais je sens l’esprit d’Altamont qui me travaille… Je suis un homme grave déjà depuis dix minutes. — Soyez-le donc pour quelque temps encore. Je sais que vous m’aimez réellement, Jack ; et puisque nous avons commencé l’entretien, je me confierai entièrement à vous. Dites-moi d’abord pourquoi l’on me refuserait le bénéfice de cette proclamation de grâce ? Je me suis fait des manières dures ; mais, au besoin, je puis démontrer combien j’ai sauvé de vies ; combien de fois j’ai rendu aux possesseurs des biens qui, sans mon intercession, auraient été détruits le lendemain. En un mot, Bunce, je peux démontrer… — Que vous êtes aussi honnête brigand que Robin Hood lui-même, interrompit Bunce, et c’est pour cette raison que moi, Fletcher, et ceux d’entre nous qui ne sont pas trop méprisables, nous vous chérissons ; car vous nous préservez, nous autres gentilshommes pirates, d’une entière réprobation… Eh bien, supposons votre grâce obtenue ; qu’allez-vous faire ?… quelle classe de la société vous recevra ?… À qui vous associerez-vous ? Le vieux Drake, du temps de la reine Élisabeth, a pu piller le Pérou et le Mexique sans montrer une ligne de commission qui lui en donnât le droit, et, bénie soit sa mémoire ! la reine l’en a récompensé en le faisant chevalier à son retour. À une époque plus rapprochée, au temps du joyeux roi Charles, Hal Morgan, le Gallois, a bien rapporté chez lui tous ses profits, a possédé tranquillement son domaine et sa maison de campagne. Mais à présent tout est fini… pirate un jour, proscrit à jamais… Le pauvre diable peut aller, évité et méprisé de tout le monde, vivre dans quelque port obscur, avec telle portion de sa fortune criminelle que les grands dignitaires et les clercs lui ont laissée (car il en coûte beaucoup pour faire sceller des lettres de grâce), et quand il va se promener sur la jetée, si un étranger demande quel est cet homme mélancolique, aux yeux baissés, aux traits noircis, devant qui tout le monde se dérange comme s’il portait la peste dans toute sa personne, on