Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/342

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lui dira que c’est un tel, pirate gracié… Jamais honnête homme ne lui parlera… jamais femme bien famée ne lui donnera sa main. — Votre tableau est trop rembruni, Jack, » dit Cleveland en interrompant soudain son ami ; « il est des femmes… il en est une du moins qui serait fidèle à son amant, fût-il celui dont vous venez de tracer le portrait. »

Bunce garda le silence un instant et regarda fixement son ami. « Par mon âme ! s’écria-t-il enfin, je commence à me croire devin. Tout improbable qu’était la chose, je n’ai pu m’empêcher dès le commencement de soupçonner qu’il y avait une fille sous le tapis. Ma foi ! c’est pis que le prince Volscius épris d’amour, ha, ha, ha ! — Riez tant que vous voudrez, c’est la pure vérité… Il existe une jeune fille qui a la bonté de m’aimer, tout pirate que je suis ; et je vous avouerai franchement, Jack, que, quoique j’aie souvent détesté notre vie de corsaire, et me haïsse moi-même de l’avoir embrassée, pourtant je doute que j’aurais jamais eu le courage de prendre la résolution que je vais exécuter, sans l’amour dont je brûle pour elle. — Miséricorde divine ! mais il ne faut pas parler raison à un fou. L’amour, dans notre métier, capitaine, ne vaut guère mieux que l’extravagance d’un lunatique. Il faut que la fille soit un rare morceau, pour qu’un homme sage s’expose à se faire pendre pour elle. Mais, dites-moi, n’a-t-elle pas comme vous le cerveau un peu détraqué ?… et n’est-ce pas la sympathie qui vous a rendus amoureux ? C’est, je pense bien, non pas une de nos sirènes ordinaires, mais une fille de sage réputation et de bonne conduite. — Oui, aussi sûrement qu’elle est la plus belle et la plus séduisante créature qui parût jamais en ce monde. — Et elle vous aime, très noble capitaine, sachant que vous êtes commandant d’une bande de ces gentilshommes de fortune que le vulgaire appelle pirates ? — Oui… cela est certain. — En ce cas, elle est folle à lier, comme je l’ai déjà dit, où elle ne sait pas ce que c’est qu’un pirate. — Vous avez raison sur ce dernier point. Elle a été élevée dans une simplicité si naïve, dans une ignorance si complète de ce qui est mal, qu’elle compare notre métier à celui des vieux Norses qui balayaient mers et ports avec leurs galères victorieuses, établissaient des colonies, soumettaient des royaumes, et prenaient le titre de rois de la mer. — C’est un titre meilleur que celui de pirate, mais revenant à peu près au même, j’ose le dire… Ce doit être une vaillante fille !… pourquoi ne l’avez-vous pas amenée à bord ? il fallait satisfaire son caprice. — Et croyez-vous que je veuille complètement