Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/361

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trône est un nuage, mon sceptre un météore, mon royaume n’est peuplé que de fantômes ! mais il faut que je cesse d’être, ou que je sois toujours la plus puissante, aussi bien que la plus misérable des créatures ! — Ne tenez pas de si lugubres discours, ma chère et malheureuse bienfaitrice, » répliqua Mordaunt très affecté ; « je penserai de votre puissance tout ce qu’il vous plaira que j’en pense. Mais par amour de nous-mêmes, considérez autrement les choses. Détournez vos pensées de ces études mystérieuses qui vous troublent l’esprit… de ces bizarres sujets de contemplation ; donnez-leur un cours différent et meilleur. La vie aura encore des charmes pour vous, et la religion vous versera ses consolations. »

Elle l’écouta avec assez de calme, comme si elle pesait son conseil en désirant le suivre ; mais quand il eut fini, elle secoua la tête et s’écria :

« Non, cela est impossible. Il faut que je reste la terrible… la mystérieuse Reim-Kennar… la maîtresse des éléments, ou que je cesse de vivre. Je n’ai que l’alternative ; point de milieu. Mon poste doit être au faîte de ce roc sourcilleux, où jamais pied humain n’a monté avant le mien… ou bien, je dois dormir au sein de l’Océan sans fond, ses vagues blanches roulant mon corps insensible. La parricide ne sera point accusée encore d’imposture. — La parricide ! » répéta Mordaunt en reculant d’horreur.

« Oui, mon fils ! » reprit Norna avec un sombre sang-froid, plus effrayant que sa première impétuosité ; « entre ces fatales murailles mon père a trouvé la mort, et par ma faute. C’est dans cette chambre qu’il fut trouvé, cadavre livide et sans vie ; redoutez la désobéissance à vos parents, car tel en est le fruit ! »

À ces mots elle se leva et sortit de l’appartement, où Mordaunt resta seul à méditer à loisir sur l’extraordinaire communication qu’il venait d’entendre. Il avait été instruit par son père à ne pas croire aux superstitions des îles Shetland, et il voyait alors que Norna, tout ingénieuse qu’elle était à tromper les autres, pouvait à peine s’en imposer à elle-même. C’était une forte présomption en faveur de la lucidité de son esprit. Mais d’une autre part, l’accusation de parricide qu’elle portait contre elle-même semblait si extraordinaire, si improbable, qu’aux yeux de Mordaunt cela jetait beaucoup de doute sur toutes ses autres assertions.

Il avait tout le temps de fixer ses idées sur ces différentes circonstances, car personne n’approchait de la solitaire demeure dont Norna, le nain et lui-même étaient les seuls habitants. L’île où elle