Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/368

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aurait plutôt fait de parler à des nègres… Je vous le répète, je propose que Cleveland soit seulement capitaine depuis une heure post meridiem jusqu’à cinq heures du matin, durant lequel temps Goffe est toujours ivre. »

Le capitaine dont l’orateur venait de parler donna une preuve suffisante de la vérité de ses paroles, en proférant un hurlement inarticulé, et en s’efforçant d’ajuster son pistolet sur le conciliateur Hawkins.

« Tenez, voyez-vous ? dit Derrick ; tout son bon sens consiste à s’enivrer un jour de conseil comme le plus misérable matelot. — Oui, dit Bunce, ivre comme la truite de Davy[1], en face de l’ennemi, de l’ouragan et du sénat ! — Mais, néanmoins, continua Derrick, on n’ira jamais avec deux capitaines dans un même jour.

Je crois qu’il serait mieux qu’ils eussent chacun leur semaine… Cleveland commencera. — Il y a ici des gens qui les valent bien, reprit Hawkins ; cependant, je n’objecte rien contre le capitaine Cleveland, et je pense qu’il peut nous servir en pleine mer aussi bien qu’un autre. — Oui, s’écria Bunce, et il fera meilleure figure pour mettre à la raison les Kirkwallais que son sobre prédécesseur !… Ainsi, vive le capitaine Cleveland ! — Arrêtez, messieurs, » dit Cleveland qui avait jusqu’alors gardé le silence ; « J’espère que vous ne me nommerez pas capitaine sans que j’y consente ? — Si, par la voûte bleue du ciel, nous le ferons ! répliqua Bunce ; c’est pro bono publico. — Mais, écoutez-moi du moins, dit Cleveland ; je consens à prendre le commandement du vaisseau, puisque vous le souhaitez, et parce que je vois que vous sortirez mal d’embarras sans moi. — C’est pourquoi je répète : Vive le capitaine Cleveland ! s’écria Bunce. — Un moment de silence, je t’en conjure, cher Bunce !…. honnête Altamont !… reprit Cleveland ; je prends le gouvernail des affaires à cette condition que, quand j’aurai remis le bâtiment en état de repartir, bien avitaillé et muni de tout, vous consentirez à rendre le commandement au capitaine Goffe, et à me débarquer, comme j’ai déjà dit, sur quelque côte, en m’abandonnant à mon sort… Vous serez alors sûrs qu’il m’est impossible de

  1. Un Gallois nommé David avait une fort belle truie, et une femme adonnée à la boisson ; un jour que celle-ci était ivre, pour éviter la colère de son mari, elle lâcha la truie et prit sa place sur la paille. Le mari voulut justement ce jour-là montrer la truie à quelques uns de ses amis ; arrivés à la loge, les amis reconnurent la substitution, et ils publièrent qu’ils n’avaient jamais vu de truie soûle comme la truie de David.