Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/405

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une main amie ne gravera une inscription sur ma tombe… jamais un fils, orgueilleux de m’avoir pour père, ne placera des armoiries sur le sépulcre du pirate Cleveland. Mes os blanchissants resteront suspendus aux fers d’un gibet sur quelque côte sauvage, sur quelque cap solitaire, pour rendre ce lieu à jamais sinistre et faire maudire ma mémoire. Le vieux marin qui naviguera dans ces parages secouera la tête et dira mon nom et mes exploits à ses jeunes compagnons pour qu’ils n’imitent pas mon exemple… Mais Minna !… Minna !… quelles seront tes pensées quand le bruit de ma mort parviendra jusqu’à toi ?… plaise à Dieu que cette nouvelle soit engloutie dans le plus profond des tourbillons entre Kirkwall et Burgh-Westra, avant de frapper ton oreille… et hélas ! plût au ciel que nous ne nous ne fussions jamais vus, puisque nous ne pourrons jamais nous revoir ! »

Il leva les yeux en parlant ainsi ; devant lui était Minna Troil. La jeune fille était pâle et la chevelure en désordre, mais sa physionomie était calme et ferme, et portait toujours son expression ordinaire de noble mélancolie. Elle était encore enveloppée dans le large manteau qu’elle avait pris en quittant le navire. La première émotion de Cleveland fut la surprise, la seconde fut de la joie, mêlée à un sentiment de crainte. Il aurait voulu s’écrier… il aurait voulu se jeter à ses genoux, mais elle lui imposa silence, et l’engagea à se tenir tranquille en levant le doigt et en disant, d’une voix basse mais impérative : « Soyez prudent… on nous observe… il y a des gardes en dehors… ils ne m’ont laissée entrer qu’avec peine. Je n’ose rester long-temps… ils penseraient… ils pourraient croire… Cleveland ! j’ai tout risqué pour vous sauver. — Pour me sauver ?… Hélas ! pauvre Minna ! répondit Cleveland, me sauver est impossible… Il me suffit de vous avoir vue encore une fois, ne fût-ce que pour vous dire adieu à jamais ! — Nous devons, il est vrai, nous dire adieu, car le destin et vos crimes nous ont séparés à jamais.. Cleveland, j’ai vu vos compagnons… ai-je besoin de vous en dire davantage ?… Aj-je besoin de vous dire que je sais maintenant ce que c’est qu’un pirate ? — Vous êtes tombée au pouvoir de ces bandits ! » s’écria Cleveland avec un tressaillement d’angoisse… « auraient-ils osé… — Cleveland, ils n’ont rien osé… Votre nom a sur ces brigands la puissance d’un charme ; cette puissance seule m’a rappelé les qualités que j’avais jadis cru trouver dans mon Cleveland ! — Oui, » répliqua Cleveland avec fierté « mon nom a et aura tout pouvoir sur eux, au plus fort même de