Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/73

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Il est des paroles auxquelles tu dois aussi obéir
Quand elles sont chantées par la voix de la Reim-Kennar.
IV.
Assez de désastres ont été causés par toi sur l’Océan :
La veuve, sur le rivage, tend vers le ciel ses mains jointes.
Assez de désastres ont été causés par toi sur la terre :
Le laboureur se croise les bras de désespoir.
Cesse donc le mouvement de tes ailes ;
Laisse reposer l’Océan dans sa sombre puissance ;
Cesse les éclairs de tes yeux ;
Laisse reposer la foudre dans l’arsenal d’Odin.
Arrête-toi, je te l’ordonne, toi qui promènes ton aveugle fureur dans les cieux du nord-ouest.
Dors à la voix de Norna, à la voix de la Reim-Kennar.

Nous avons dit que Mordaunt était naturellement passionné pour la poésie et pour les situations extraordinaires : on ne trouvera donc pas étonnant qu’il écoutât avec intérêt l’appel sauvage ainsi fait au terrible vent qui souffle sur l’univers, du ton d’un enthousiasme si intrépide. Mais quoiqu’il eût si souvent entendu parler dans le pays des chants runiques et des sortilèges du Nord, il ne fut pas en cette occasion assez crédule pour croire que la tempête qui avait grondé depuis le matin, et qui commençait à se calmer, était vaincue par le charme des vers de Norna. Une chose certaine, c’est que la tourmente semblait se ralentir et que le péril dont elle menaçait était déjà passé. Mais il n’était pas improbable que cette issue eût été prévue par la pythonisse d’après certains signes imperceptibles pour ceux qui n’avaient pas demeuré long-temps dans le pays, ni accordé aux phénomènes météorologiques l’attention d’un fin et subtil observateur. Il ne doutait point de l’expérience de Norna, et c’était un moyen très simple d’expliquer ce qui paraissait surnaturel dans sa conduite. Mais pourtant cette noble physionomie à demi cachée par ses cheveux épars, l’air de majesté avec lequel, d’un ton de menace et de commandement, cette femme parlait aux esprits invisibles de la tempête, donnaient à Mordaunt une violente envie de croire à l’empire de l’art occulte sur les puissances de la nature ; car si jamais une femme eût pu posséder une telle autorité sur les lois ordinaires de l’univers, Norna de Fitful-Head, à en juger par son port, ses traits et sa physionomie, était née pour jouer ce grand rôle.

Le reste de la compagnie ne balança point tant à se laisser convaincre. Tronda et le colporteur n’avaient besoin d’aucune convic-