Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/91

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dans ces terribles catastrophes si communes sur des côtes hérissées de rocs et fécondes en tempêtes. Nous sommes heureux d’ajouter que les exhortations et les exemples des propriétaires ont déraciné jusqu’aux traces de cette croyance inhumaine dont se ressouviennent encore quelques uns des naturels du pays. Il est étrange que le cœur des hommes soit insensible à une infortune à laquelle ils sont eux-mêmes constamment exposés ; mais peut-être la présence continuelle d’un danger tend-elle à nous rendre insensibles aux conséquences qu’il peut amener, soit pour nous-mêmes, soit pour les autres.

Bryce tenait d’une manière inconcevable à cette ancienne croyance, d’autant plus que, pour l’assortiment de sa balle, il recourait moins aux magasins de Lerwick et de Kirkwall qu’aux résultats d’un vent du nord-ouest tel que celui de la veille ; aussi manquait-il rarement, car c’était un homme dévot à sa manière, d’adresser alors au ciel de ferventes actions de grâces. On disait de lui que, s’il avait employé à secourir les marins naufragés le temps qu’il avait mis à dévaliser leurs malles et leurs caisses, il aurait sauvé bien des vies et manqué bien des marchandises. Il ne donnait pas la moindre attention aux instances réitérées de Mordaunt, quoiqu’il fût sur la même langue de terre que lui, lieu où Bryce savait fort bien que le courant rejetterait les dépouilles dont l’Océan regorgeait… Il était uniquement occupé du soin de mettre en réserve et de s’approprier tout ce qui lui semblait portatif et précieux. Enfin, Mordaunt vit l’honnête colporteur fixer ses regards sur une vaste caisse faite en bois des Indes, solidement fermée par des attaches de cuivre, et paraissant être de construction étrangère. La serrure était forte, et résista à tous les efforts de Bryce pour l’ouvrir ; alors tirant avec le plus grand calme un petit marteau et un ciseau de sa poche, il se mit à forcer les charnières.

Irrité au point d’en perdre patience, Mordaunt déposa doucement son fardeau sur le sable, et ramassant un morceau de bois qui se trouvait près de lui, il s’avança vers Bryce avec un geste menaçant, et s’écria : « Homme sans cœur, inhumain bandit ! levez-vous sur-le-champ. Aidez-moi à sauver ce malheureux, et à le transporter hors de péril, loin de ce rivage, ou non seulement je vais vous châtier à l’instant, mais encore j’informerai Magnus Troil de vos brigandages, afin qu’il vous fasse fouetter jusqu’au sang et qu’il vous bannisse ensuite de l’île. »

Le couvercle de la caisse venait précisément de sauter lorsque ce