Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/99

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le pays de cet homme, que je ne voie autour de moi que ces figures auxquelles je suis habitué, que ces figures vulgaires dont je connais parfaitement tous les jolis défauts, mais que je puis tolérer comme un mal ne valant pas la peine qu’on s’en irrite. » Il jeta alors sa bourse à son fils et lui fit signe de s’éloigner.

Mordaunt eut bientôt atteint le village. Dans la noire cabane de Neil Konaldson, le Kauzellaer, il trouva l’étranger assis au coin d’un feu de tourbe, sur la caisse même qui avait excité la cupidité de Bryce Snailsfoot, le colporteur. Le Kauzellaer était absent, occupé à partager avec l’impartialité convenable les débris du vaisseau naufragé entre les individus de la communauté ; prêtant l’oreille et faisant droit aux plaintes, jouant enfin un rôle qui, dans tous ses détails, eût été celui d’un magistrat intègre et prudent, si l’affaire tout entière n’avait pas eu pour point de départ la plus injuste et la plus immorale des entreprises.

Margery Bimbister, la digne épouse du Kauzellaer, qui gardait la maison, introduisit Mordaunt près de son hôte, en disant à celui-ci sans grande cérémonie : « C’est le jeune tacksman… Vous voudrez bien peut-être lui dire votre nom, quoique vous ne vouliez pas nous le dire à nous. Si ce n’avait été lui, il est probable que vous ne l’eussiez dit à personne, si long-temps que vous puissiez vivre. »

L’étranger se leva et serra la main de Mordaunt, en lui disant qu’il savait que c’était à lui qu’il devait la conservation de sa vie et celle de son coffre. « Le reste de mes biens, ajouta-t-il, court les champs, je pense, car les habitants de ces îles sont aussi âpres à la curée que le diable dans une tempête. — Et de quoi vous a donc servi votre science nautique, dit Margery, si vous n’avez pu éviter le Sumburgh-Head ? il se serait passé du temps avant que le Sumburgh-Head fût venu vous trouver ! — Laissez-nous pour un moment, bonne Margery Bimbister, dit Mordaunt ; j’ai à entretenir ce gentleman de choses particulières. — Gentleman ! » répéta Margery avec emphase. « Ce n’est pas que monsieur n’ait l’air assez comme il faut, » ajouta-t-elle en le considérant encore ; « mais je doute qu’il soit un vrai gentleman. »

Mordaunt jeta les yeux sur l’étranger et pensa autrement. C’était un homme d’une taille plus que moyenne, aussi bien fait que robuste. Mordaunt n’avait pas encore beaucoup d’expérience du monde, mais il crut remarquer que sa nouvelle connaissance, à une belle figure un peu brunie par le soleil, et qui semblait avoir