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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 17, 1838.djvu/24

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fais dans leur compagnie, quoiqu’ils me fassent faire plus d’un mille hors de la grande route, et me forcent de sauter par-dessus les haies et les fossés pour y rentrer. Si je résiste à cette tentation, comme vous me le conseillez, mes pensées deviennent languissantes, plates et insipides. J’écris péniblement pour moi-même et avec le sentiment de ma faiblesse, ce qui me rend plus faible encore. Le coloris brillant que mon imagination avait donné aux incidents disparaît, et tout devient froid et sombre. Je ne suis plus le même auteur. Le chien condamné à tourner dans une roue pendant des heures entières ne ressemble guère à ce même chien tournant gaiement après sa queue, et bondissant, folâtrant en toute liberté. Bref, monsieur, dans de telles occasions, il me semble que je suis ensorcelé.

Le Capitaine. Ma foi, monsieur, si vous parlez de sortilège, il n’y a plus rien à dire. On ne peut pas aller contre le diable. Et Voilà, je suppose, pourquoi vous ne vous essayez pas dans le genre dramatique, comme on vous y a si souvent engagé.

L’Auteur. Une très-bonne raison pour ne pas écrire pour le théâtre, c’est que je ne sais pas former une intrigue. D’ailleurs, l’idée qu’ont adoptée des juges trop indulgents relativement à mes dispositions en ce genre, est fondée sur des fragments de vieilles comédies provenant d’une source inaccessible aux compilateurs, et que l’on a crus un peu légèrement être le fruit de mon imagination. Or, la manière dont ces fragments sont venus en ma possession est si extraordinaire, que je ne puis m’empêcher de vous la raconter.

Il faut que vous sachiez qu’il y a une vingtaine d’années j’allais visiter dans le comté de Worcester un ancien ami, avec lequel j’avais servi autrefois dans les dragons.

Le Capitaine. Ainsi vous avez servi, monsieur ?

L’Auteur. Que j’aie servi ou non, cela revient au même. Le titre de capitaine est souvent utile en voyage… Je trouvai, contre mon attente, la maison de mon ami remplie d’une foule d’hôtes, et, comme d’usage, je fus condamné (car l’habitation était un vieux château) à coucher dans la chambre aux revenants. J’ai, comme l’a dit un célèbre contemporain, vu trop de fantômes peur y croire ; je m’arrangeai donc fort tranquillement pour dormir, bercé par le murmure du vent qui agitait les feuilles des tilleuls : ces arbres interceptaient partiellement les rayons de la lune qui frappaient sur le plancher à travers les vitres de la croisée. Tout