Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/133

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le pouvoir véritable aux mains du beau sexe, pourvu qu’on le laisse paisiblement satisfaire la capricieuse manie dont il est possédé.

En cette occasion cependant, bien que l’avenue de Dobby fît partie des domaines abandonnés de Moultrassie-House, lady Peveril résolut d’en profiter pour abréger son chemin : en conséquence elle se dirigea de ce côté. Mais quand le jeune paysan qui l’accompagnait, un bâton d’épine à la main, sifflant gaiement, et le chapeau sur l’oreille, s’aperçut qu’elle s’avançait vers la barrière qui était à l’entrée de l’avenue de Dobby, il donna des signes de frayeur, et, s’approchant tout à coup de lady Peveril que jusque là il avait suivie à une certaine distance, il lui dit d’une voix tremblante : « N’allez pas par là, milady ! n’allez pas par là ! »

Lady Peveril, remarquant que les dents lui claquaient et que tout son extérieur annonçait l’épouvante, se souvint alors d’un bruit qui courait que le premier possesseur de Moultrassie-Hall le brasseur de Chesterfield, qui, après avoir acheté ce domaine, y était mort d’une mélancolie née de l’oisiveté (non sans qu’on soupçonnât un suicide), revenait depuis quelque temps, et apparaissait dans cette avenue solitaire, suivi d’un gros mâtin qui pendant la vie de l’ex-brasseur était le compagnon ordinaire de ses promenades. Compter sur quelque défense de la part de celui qui lui servait d’escorte dans l’état de terreur superstitieuse où il était, c’eût été folie, et lady Peveril, qui n’entrevoyait aucun danger, pensa qu’il serait cruel de contraindre ce jeune poltron à la suivre dans un lieu si redoutable pour lui. Elle lui donna donc une pièce d’argent et lui permit de s’en retourner. Cette permission parut encore plus agréable que le petit présent ; car, à peine avait-elle remis sa bourse dans sa poche, que le bruit des sabots de son valeureux écuyer lui annonça qu’il opérait sa retraite avec le plus de précipitation possible.

Souriant d’une terreur qu’elle trouvait si ridicule, elle passa la barrière, et bientôt elle cessa de voir les rayons de la lune, interceptés par les rameaux entrelacés et touffus des grands ormes qui bordaient la vieille avenue et qui, se rejoignant par en-haut, formaient une immense voûte de feuillage. Ce lieu était parfaitement propre à inspirer des pensées graves et solennelles, et la lumière lointaine que l’on apercevait à l’une des nombreuses croisées de Moultrassie-House semblait également calculée pour exciter à la mélancolie. Des réflexions se présentèrent naturellement