Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/147

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

faible mérite à mes yeux, reprit Julien. — Bien faible, dites-vous ? continua le comte, et vous vous intitulez confrères de l’hameçon ! Et qu’aimeriez-vous mieux ? employer toutes vos forces pour tirer, comme font nos pêcheurs dans leurs barques, un pesant filet qui ne vous amène qu’un misérable goujon ; ou pour prendre un saumon frétillant qui, par sa pesanteur, fait plier le bois et siffler la corde de votre ligne, qui vous joue mille tours malins, qui tourmente votre cœur de craintes et d’espérances, et qui ne tombe enfin sur le rivage qu’après vous avoir obligé à déployer tout ce que vous possédez d’adresse, de patience et de ruse ? Mais je vois que vous êtes disposé à pêcher selon votre ancienne méthode. Point d’habit galonné ; c’est la casaque brune qu’il vous faut, les couleurs brillantes effarouchent le poisson dans les eaux tranquilles de l’île de Man. Sur ma foi ! vous n’en attraperiez guère à Londres, si l’amorce ne brillait un peu. Eh bien ! vous partez ? allons, je vous souhaite bonne chance. Moi, je vais prendre la barque de parade : la mer et les vents sont moins inconstants que la rivière sur laquelle vous vous êtes embarqué. — C’est à Londres que vous avez appris à dire toutes ces belles choses, milord, répondit Julien ; mais nous vous verrons en faire pénitence, si lady Cynthia est de mon avis. Adieu, bien du plaisir jusqu’à ce que nous nous revoyions. »

Les jeunes gens se séparèrent donc ; et tandis que le comte s’embarquait pour son joyeux voyage, Julien, ainsi que son ami l’avait prévu, prenait le costume d’un homme qui veut goûter le plaisir de la pêche. Le chapeau à plumes fut échangé contre un bonnet de drap gris, le manteau richement galonné contre une jaquette de la même couleur et des pantalons semblables ; puis une ligne à la main, un panier sur le dos, et monté sur un joli petit cheval de Man, le jeune Peveril sortit du château et parcourut lestement le pays qui le séparait de l’une des belles rivières qui descendent des montagnes de Kirk-Merlagh et vont se jeter à la mer.

Arrivé à l’endroit où il avait l’intention de s’amuser à pêcher, Julien laissa paître librement son petit coursier, qui, dressé par lui, le suivait comme un chien. De temps en temps, l’intéressant animal, fatigué de brouter l’herbe de la vallée que parcourait la rivière, venait se reposer près de son maître ; et, comme s’il eût été grand amateur de la pêche, il semblait regarder curieusement les truites qui se débattaient sur le rivage où Julien les amenait.