Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/16

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tuation philosophique que je viens de décrire, et que les yeux du corps commençaient à se fermer, afin sans doute que ceux de l’intelligence fussent mieux ouverts, je fus réveillé en sursaut par un coup frappé à la porte d’une façon plus impérativement bruyante qu’il n’est ordinaire aux visiteurs qui connaissent mes habitudes. Je me redressai sur mon siège, et j’entendis mon domestique marcher précipitamment dans le passage, suivi d’un pas lourd et cadencé qui ébranlait tellement la longue galerie planchéiée en chêne, qu’il attira forcément mon attention : « Un étranger, monsieur, arrivant d’Édimbourg par la malle-poste du Nord, désire parler à Votre Révérence. » Telles furent les paroles de Jacob en ouvrant la porte à deux battants ; et le ton effaré dont il les prononça, quoiqu’il n’y eût rien de particulier dans l’annonce en elle-même, me prépara à l’arrivée d’un visiteur d’une qualité et d’une importance peu ordinaires.

L’auteur de Waverley entra. C’était un homme corpulent et d’une taille élevée, enveloppé dans une redingote de voyage qui couvrait un habillement complet couleur de tabac, taillé sur le modèle de celui que portait le célèbre Rôdeur[1] ; son chapeau rabattu (car il dédaignait la frivolité moderne d’une casquette de voyage) était assujetti sur sa tête par un grand mouchoir de soie, de manière à protéger à la fois ses oreilles contre le froid et contre le babil de ses facétieux compagnons de voyage, dans la voiture publique d’où il venait à l’instant de descendre. Ses grands sourcils épais et gris avaient une expression de finesse satirique et de bon sens ; ses traits étaient d’ailleurs largement prononcés, et plutôt lourds qu’annonçant l’esprit et le génie ; mais son nez se projetait d’une manière remarquable, et me rappela ce vers du poète latin :

Immodicum surgit pro cuspide rostrum[2]


Un gros bâton de voyage était dans sa main ; une cravate de Barcelone double entourait son cou ; son ventre était un peu saillant, « mais c’est peu de chose ; » ses culottes étaient d’une étoffe forte et serrée ; et une paire de bottes qui retombaient pour ne pas gêner ses robustes mollets, laissait voir ses bons bas de voyage en laine d’agneau, faits, non pas au métier, mais à l’aiguille, d’après l’ancienne et vénérable mode, et connus en Écosse sous le nom de bas à côtes[3]. Son âge paraissait être beaucoup au-dessus de la

  1. Ouvrage périodique de Johnson, dans le genre du Spectateur d’Addison. a. m.
  2. Son énorme bec s’avance comme une arme. a. m.
  3. Ridge-and-furrow, façon de bas à côte. a. m.