Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/162

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m’avez-vous laissée dans le songe agréable pendant lequel j’aurais pu toujours vous écouter ! mais l’heure du réveil est arrivée. »

Peveril attendait la suite de ce discours comme un criminel attend sa sentence ; il sentait assez qu’une réponse faite avec autant de fermeté et de résolution, bien qu’avec une émotion visible, ne devait point être interrompue.

« Oui, nous avons eu tort, grand tort, répéta-t-elle ; et, si maintenant nous nous séparons pour toujours, la douleur que nous en ressentirons tous deux sera le juste châtiment de notre faute. Nous n’aurions jamais dû nous rencontrer, et nous devons nous quitter le plus tôt possible ; en prolongeant notre intimité, nous ne ferions qu’augmenter le chagrin de la séparation. Adieu donc, Julien ! oubliez pour jamais que nous nous sommes revus ! — L’oublier, s’écria Julien, jamais ! jamais ! Pour vous, sans doute, c’est un mot facile à dire, une chose facile à faire ; mais pour moi l’un ou l’autre est la mort. Pourquoi doutez-vous que l’inimitié de nos parents, comme tant d’autres dont nous avons entendu parler, ne cède à la force de notre tendresse ? Vous êtes ma seule et unique amie ; je suis le seul ami que le ciel vous ait donné : pourquoi les fautes que d’autres ont commises pendant notre enfance nous sépareraient-elles ? — Vous parlez en vain, Julien, dit Alice ; j’ai pitié de vous, j’ai pitié de moi-même ; et peut être, en effet, est-ce moi qui, de nous deux, ai le plus besoin de pitié ; bientôt vous figurerez sur un nouveau théâtre où de nouvelles scènes, de nouvelles connaissances vous forceront bientôt à m’oublier, tandis que moi, dans cette solitude, comment pourrais-je oublier ?… Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit : je supporterai ce que le sort me réserve ; et il ordonne que nous nous séparions. — Écoutez-moi encore un moment, dit Peveril ; ce malheur n’est pas, ne peut être sans remède : j’irai trouver mon père, j’emploierai l’intercession de ma mère, à laquelle il ne peut rien refuser ; j’obtiendrai leur consentement ; ils n’ont que moi d’enfant, et ils m’accorderont cette demande, ou ils me perdront pour toujours. Dites, Alice, si je reviens avec le consentement de mes parents, direz-vous encore avec ce ton si touchant, si triste, et en même temps si incroyablement résolu : « Julien, il faut nous séparer ! » Cruelle fille ! » ajouta-t-il en voyant qu’elle gardait le silence, « vous ne daignez pas même me répondre. — On ne répond pas à ceux qui parlent en rêvant, dit Alice ; vous me demandez ce que je ferais si une impossibilité venait à se réali-