Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/228

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Ils se turent un moment, et ce fut Peveril qui le premier rompit le silence.

« Vous m’avez parlé d’une manière énigmatique, major Bridgenorth, et je ne vous ai demandé aucune explication. Veuillez maintenant recevoir un avis dicté par l’intérêt le plus sincère. Ne dédaignez pas de m’écouter, quoique ce que je vais dire puisse vous paraître obscur. Vous êtes ici, ou du moins vous êtes supposé y être, avec des projets dangereux pour le maître de cette île. Ce danger retombera sur vous, si vous y prolongez votre séjour, tenez-vous sur vos gardes, et partez tandis qu’il en est temps. — Et laissez votre fille sous la protection de Julien Peveril : n’est-ce pas là la fin de votre conseil ? répondit Bridgenorth. Julien, fiez-vous à ma prudence pour ce qui me regarde. J’ai été habitué à me guider à travers des périls plus redoutables que ceux qui m’environnent aujourd’hui. Je vous remercie néanmoins de votre avis, et je le crois désintéressé, du moins en partie. — Vous ne me quittez donc pas irrité contre moi ? dit Peveril. — Non, mon fils, je te quitte avec une tendre amitié, avec une affection profonde. Quant à ma fille, tu dois repousser tout désir de la voir autrement que de mon aveu. La demande que tu me fais de sa main, je ne l’accueille ni ne la rejette : sache seulement que celui qui veut devenir mon fils doit se montrer d’abord le fils dévoué de son pays abusé et opprimé. Adieu, ne me réponds pas en ce moment : ton cœur est encore rempli d’amertume, et il se pourrait qu’une altercation, que je ne désire pas, s’élevât entre nous. Adieu donc, tu entendras parler de moi plus tôt que tu ne penses. »

Il serra cordialement la main de Peveril, et le laissa livré à un mélange confus de plaisir, de doute et d’étonnement. Il n’était pas peu surpris de se trouver assez avant dans la faveur du père d’Alice, pour que celui-ci parût donner une sorte d’encouragement tacite à son amour ; et il ne pouvait s’empêcher de soupçonner, d’après le langage du père et celui de la fille, que Bridgenorth désirait, pour prix de sa bienveillance, qu’il adoptât une ligne de conduite incompatible avec les principes dans lesquels il avait été élevé.

« Ne crains rien, Alice, » se dit-il en lui-même, « ta possession même ne serait point achetée par moi au prix d’une indigne et lâche complaisance pour des dogmes que mon cœur désavoue. Je sais que, si j’étais assez vil pour le faire, l’autorité même de ton père ne pourrait te forcer à ratifier un marché si honteux.