Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/231

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moments donnés à la bonne chère sont perdus pussent imaginer quelque passe-temps à moitié aussi agréable. »

Le repas que le jeune comte avait ainsi désiré comme un moyen de faire passer plus vite les heures qu’il trouvait si lentes, fut bientôt terminé, aussitôt du moins que le permit la gravité de l’étiquette et du cérémonial qui régnaient dans la maison de la comtesse. Accompagnée des dames de sa suite, elle se retira dès qu’on eut desservi, et laissa les deux amis seuls. Le vin n’avait en ce moment de charmes ni pour l’un ni pour l’autre : le comte était découragé par l’ennui, et fatigué de son genre de vie monotone et solitaire ; d’un autre côté, les événements du jour offraient à Peveril trop de sujets de réflexions pour lui permettre de donner à la conversation un tour amusant ou intéressant. Après s’être passé réciproquement la bouteille en silence, ils se retirèrent chacun dans une des embrasures des croisées de la salle à manger : les murs avaient une telle épaisseur, que ces embrasures étaient assez profondes pour former comme de petites chambres séparées. Le comte de Derby s’assit et se mit à feuilleter quelques nouvelles publications envoyées de Londres ; mais ses fréquents bâillements prouvaient combien cette lecture lui offrait peu d’intérêt, et ses regards, souvent distraits, s’en détournaient pour se porter sur la vaste étendue de la mer, qui ne présentait en ce moment d’autre variété que le vol d’une nuée de mouettes ou de quelque cormoran solitaire.

Peveril, de son côté, tenait également un pamphlet à la main, mais sans le lire, sans même y jeter les yeux par contenance. Son esprit était entièrement occupé de l’entrevue qu’il venait d’avoir avec Alice et son père ; et il s’efforçait vainement de s’expliquer pourquoi la fille, à laquelle il commençait à croire qu’il était cher, avait formé tout à coup le désir de leur éternelle séparation, tandis que le père, dont il avait tant redouté l’opposition, semblait voir son amour avec indulgence. Tout ce qu’il put en conclure, c’est que le major Bridgenorth avait en vue quelque projet dans lequel il était au pouvoir de Julien de lui nuire ou de le servir ; et que, d’un autre côté, la conduite et les discours d’Alice devaient lui donner tout sujet de craindre qu’il ne pût se concilier la faveur du major qu’au prix d’une déviation quelconque de ses principes. Mais toutes les inductions qu’il s’efforça de tirer ne purent lui faire deviner quel genre de service Bridgenorth semblait attendre de lui. Bien qu’Alice eût parlé de trahison, il