Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/232

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ne pouvait s’imaginer que son père osât lui proposer d’entrer dans un complot qui compromettrait la sûreté de la comtesse, ou qui mettrait en danger le petit royaume de Man. C’était là une action tellement infâme qu’il ne pouvait croire que qui ce fût vînt la lui proposer sans être préparé à lui rendre raison sur-le-champ, l’épée à la main, d’une insulte si grave faite à son honneur. Un semblable procédé était à tous égards incompatible avec la conduite du major ; d’ailleurs, il était trop calme, trop réfléchi pour se permettre de faire un affront sanglant au fils de son ancien voisin, au fils de celle à qui, de son propre aveu, il avait tant d’obligations.

Tandis que Peveril s’efforçait en vain de tirer des insinuations du père et de celles de la fille des conséquences à peu près probables, et qu’il tâchait de concilier son amour avec son honneur et sa conscience, il sentit qu’on le tirait doucement par son manteau. Il laissa retomber ses bras, qu’il avait tenus croisés sur sa poitrine pendant le cours de ses réflexions ; et détournant les yeux de la vague perspective des côtes de la mer, sur laquelle ils s’étaient machinalement fixés, il aperçut près de lui la petite sourde et muette, le lutin Fenella ; elle était assise sur un petit carreau ou tabouret, et se tenait là depuis quelque temps, attendant sans doute qu’il s’aperçût de sa présence ; mais ennuyée de n’être point remarquée, elle avait à la fin sollicité son attention, comme nous l’avons déjà dit. Tiré brusquement de sa rêverie par le mouvement de Fenella, Julien baissa les regards vers elle, et ne put voir sans intérêt cette créature singulière et disgraciée.

Ses longs cheveux détachés flottaient sur ses épaules, et, retombant jusqu’à terre, enveloppaient non seulement son visage, mais encore sa taille fine et svelte. À travers ce voile épais on apercevait son teint brun, ses traits mignons et réguliers, et l’éclat de ses grands yeux noirs : toute sa contenance offrait l’air suppliant d’une personne qui doute de l’accueil qu’elle va recevoir d’un ami qu’elle estime, et auquel elle est sur le point d’avouer une faute ou de demander un pardon. En un mot, sa physionomie était alors si expressive que, bien qu’elle fût familière à Julien, il crut la voir pour la première fois. La mobilité bizarre et fantasque de ses traits avait fait place à un air tendre et mélancolique, qui était secondé par l’expression de ses beaux yeux humides de larmes. Croyant que l’air extraordinaire de Fenella