Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/32

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tion qui avait été si fatale à leur existence. La même voix, la voix douce et amicale de lady Peveril, qui lui avait appris qu’il était père encore une fois, lui apprit aussi qu’il avait cessé d’être époux. Les sensations du major Bridgenorth étaient fortes et profondes plutôt que promptes et violentes ; sa douleur se convertit en une sombre stupeur, dont ne purent le tirer ni les témoignages d’amitié de sir Geoffroy qui ne manqua pas de lui tenir fidèle compagnie dans ce moment de détresse, ni les pieuses exhortations que lui faisait incessamment le pasteur presbytérien.

Enfin lady Peveril, avec l’adresse d’une femme inspirée par la vue du malheur et la tendresse naturelle de son âme, recourut à un de ces moyens qui ôtent souvent à la douleur l’angoisse du désespoir en appelant les larmes à son secours. Plaçant dans les bras de Bridgenorth l’enfant dont la naissance lui avait coûté si cher, elle le conjura de se rappeler que son Alice ne lui était pas entièrement ravie, et qu’elle vivait encore dans l’enfant qu’elle avait légué à sa tendresse paternelle.

« Éloignez-la, éloignez-la ! » s’écria le malheureux époux à l’aspect de sa fille ; « ne me forcez pas à la voir ! C’est un nouveau bouton qui n’a fleuri que pour se flétrir aussi, et l’arbre qui l’a porté ne fleurira plus ! »

Ces paroles furent les premières qu’il eût prononcées depuis la mort de sa femme. Il jeta presque l’enfant entre les bras de lady Peveril, se couvrit le visage de ses deux mains, et fondit en larmes. Lady Peveril ne lui dit pas : Il faut vous consoler ; mais elle se hasarda à lui promettre que le bouton fleurirait et perlerait un des fruits.

« Jamais ! jamais ! s’écria Bridgenorth. Éloignez ! éloignez cette malheureuse enfant, et faites-moi seulement savoir quand je devrai porter le deuil… Le deuil ! » reprit-il en s’interrompant, « ne le porterai-je pas tout le reste de ma vie ? — Eh bien ! je prendrai cette enfant avec moi ; je la garderai pendant quelque temps, dit lady Peveril, puisque sa vue vous est si pénible, et la petite Alice sera traitée comme notre Julien, jusqu’au moment où sa présence sera pour vous un sujet de joie et non un sujet de douleur. — Jamais ce moment n’arrivera ! dit le malheureux père ; sa sentence est écrite : elle suivra les autres ! Que la volonté de Dieu soit faite ! Milady, je vous remercie, je la confie à vos soins, et fasse le ciel que mes yeux ne soient pas témoins de son agonie ! »

Sans fixer plus long-temps l’attention du lecteur sur un sujet