Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/393

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ainsi devant elle, pour se convaincre qu’une machiavélique déception ne pouvait jamais avoir été mise en pratique, durant un aussi long-temps, par un être d’un tour d’esprit si particulièrement irascible et jaloux.

Il renonça donc à cette idée pour ramener ses pensées sur ses propres affaires et sur sa prochaine entrevue avec le souverain : nous l’abandonnerons à cette méditation, jusqu’à ce que nous ayons rendu un compte sommaire des changements survenus dans la position d’Alice Bridgenorth.



CHAPITRE XXXI.

L’ENTREMETTEUSE.


Je crains bien plus le diable lorsqu’il cache son pied fourchu sous la robe et la soutane, ou même sous le manteau d’un vieux calviniste.
Anonyme.


Julien Peveril avait à peine mis à la voile pour Whitehaven, qu’Alice, sur l’ordre inattendu de son père, se rendit aussi promptement que secrètement, avec sa gouvernante, à bord d’une barque destinée pour Liverpool. Christian les accompagna dans leur voyage, comme l’ami à la garde duquel Alice devait être confiée pendant qu’elle resterait séparée de son père. La conversation amusante de cet homme, ses manières agréables, quoique froides, aussi bien que sa proche parenté, firent qu’Alice, dans sa situation désespérée, s’estima heureuse d’avoir un tel protecteur.

À Liverpool, comme le lecteur le sait déjà, Christian fit le premier pas à découvert dans l’odieux complot qu’il avait ourdi contre l’innocente fille, en l’exposant dans un temple aux regards profanes de Chiffinch, pour convaincre ce dernier qu’elle possédait cette beauté peu commune propre à lui mériter l’élévation infâme à laquelle ils s’étaient proposés de la porter.

Enchanté de sa personne, Chiffinch ne le fut pas moins de l’esprit et de la délicatesse de sa conversation, lorsque plus tard il la vit chez son oncle à Londres. La simplicité et en même temps la finesse de ses remarques le portèrent à la regarder, comme son savant serviteur le cuisinier eût regardé une sauce nouvellement inventée, assez piquante pour réveiller le goût blasé d’un épicurien rassasié. « Elle était, » disait-il et jurait-il, « la véritable pierre angulaire sur laquelle, avec de la conduite et à l’aide de ses instructions, quelques honnêtes personnes pourraient élever leur fortune. »