Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/410

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décidée à l’accompagner du côté où il voulait porter ses pas.

Menant ainsi deux jeunes personnes, faites l’une et l’autre pour exciter l’attention publique, quoique par des raisons très-différentes ; Julien résolut de se rendre au bord de l’eau par le plus court chemin, et d’y prendre une barque qui le mènerait à Black-Friars, point de débarquement le plus proche de Newgate, où il pensait que Lance avait déjà annoncé son arrivée à Londres à sir Geoffrey, alors habitant de ce triste séjour, et à son épouse qui, autant que le permettait la rigueur du geôlier, partageait et adoucissait son emprisonnement.

L’embarras de Julien, en traversant Charing-Cross et Northumberland-House, était si grand qu’il attirait l’attention des passants ; car il fallait régler sa marche de manière à mettre d’accord la course inégale et rapide de Fenella avec le pas timide et lent de sa compagne du bras gauche ; et tandis qu’il lui aurait été inutile de parler à la première qui ne pouvait le comprendre, il n’osait dire la moindre chose à Alice, de crainte d’éveiller, jusqu’à la frénésie, la jalousie ou du moins l’impatience de Fenella.

Plusieurs passants les regardaient avec surprise, et quelques-uns en souriant ; mais Julien remarqua surtout deux hommes qui ne les perdaient jamais de vue, et à qui sa situation et la tournure de ses compagnes semblaient fournir le sujet d’une gaieté qu’ils ne déguisaient pas. C’était deux jeunes gens comme il est possible d’en rencontrer aujourd’hui au même endroit, sauf la différence des modes pour le costume. Ils portaient d’énormes perruques, et ils étaient chargés de plusieurs centaines d’aunes de ruban disposées en nœuds sur leurs manches, sur leurs culottes et sur leurs vestes, avec toute l’extravagance de la mode d’alors. Une immense quantité de dentelles et de broderies rendait leurs vêtements plus magnifiques que de bon goût : en un mot, ils présentaient cette caricature de la mode, qui parfois dénote un jeune fou de qualité, jaloux de se faire distinguer comme petit-maître du premier ordre, mais qui sert plus ordinairement à déguiser ceux qui désirent passer pour gens de haut étage, grâce à leurs habits, attendu qu’ils n’ont d’ailleurs aucun autre titre à être distingués.

Ces deux beaux fils de famille passèrent plus d’une fois, bras dessus bras dessous, devant Peveril, puis s’arrêtèrent de façon à l’obliger de les dépasser à son tour, riant et chuchotant pendant ces manœuvres, regardant avec effronterie Peveril et ses deux jolies