Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/481

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bule séparant du reste de la maison cette partie consacrée à la débauche, qu’on appelait d’ordinaire le couvent. Cette duègne expérimentée remplissait en ces occasions le rôle de maîtresse des cérémonies, et était la fidèle dépositaire de plus d’intrigues que n’en connaissent une demi-douzaine de femmes vouées à son respectable métier.

« Une aussi douce linotte, » dit-elle en ouvrant la porte extérieure, « que toutes celles qui chantèrent jamais en cage ! — J’avais peur qu’elle n’eût passé son temps à pleurer plutôt qu’à chanter, Dowlas. — Hier encore, ou, pour dire toute la vérité, milord, ce matin même, nous n’entendions que gémissements ; mais l’air de la maison de Votre noble Grâce est favorable aux oiseaux chanteurs, et aujourd’hui il y a beaucoup de mieux. — Le changement est prompt, bonne dame, et il me paraît étrange qu’avant même que je l’aie jamais vue, cette petite trembleuse se soit si vite résignée à son sort. — Ah ! c’est que Votre Grâce possède une vertu magique dont l’influence pénètre à travers les murailles ; comme le dit la sainte Écriture, Exode, chap. I et VII : « Elle fend les murs et les portes. » — Vous êtes trop partiale, dame Dowlas. — Je ne dis que l’exacte vérité, et je veux être rejetée du troupeau des bonnes brebis si je ne pense pas que l’extérieur même de la petite s’est amélioré depuis qu’elle habite l’hôtel de Votre Grâce. Il me semble qu’elle a une taille plus aérienne, une démarche plus légère, une tournure plus vive. Je ne puis rien assurer, sinon qu’il y a du changement : d’ailleurs, hélas ! Votre Grâce sait que je suis aussi vieille que fidèle, et que ma vue commence à s’affaiblir. — Surtout quand vous lavez vos yeux avec du vin des Canaries, bonne dame, » répliqua le duc, qui savait que la tempérance n’était pas une des vertus cardinales que la vieille pratiquait le plus souvent.

« Avec du vin des Canaries, dites-vous, milord ? Est-ce bien avec du vin des Canaries que Votre Grâce suppose que je me lave les yeux ? » s’écria la matrone offensée. « Je suis fâchée que Votre Grâce ne me connaisse pas mieux. — Je vous demande pardon, dame Dowlas, » dit le duc, en repoussant dédaigneusement la main que, dans l’ardeur de sa justification, dame Dowlas avait posée sur la manche de son habit ; « je vous demande pardon, je me suis convaincu, en vous approchant de plus près, que mon accusation n’était pas fondée… C’est de l’eau-de-vie que j’aurais dû dire, non du vin des Canaries. »