Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/568

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fois, dit Bridgenorth ; ma vie s’est écoulée dans les étreintes de la mort. Mes plus beaux rejetons ont été abattus par la hache du bûcheron. Il faut que celui qui survit, s’il doit fleurir, soit greffé ailleurs, loin de mon vieux tronc. Ainsi, plus la hache sera prompte à frapper la racine, plus je bénirai ses coups. J’aurais ressenti une vive joie, il est vrai, si j’avais été appelé à épurer cette cour licencieuse, et à soustraire au joug le peuple souffrant de Dieu. Ce jeune homme aussi, le fils de cette femme précieuse, à qui je dois le dernier lien qui attache encore à l’humanité mon âme fatiguée, que n’ai-je pu travailler avec lui pour la bonne cause ! Mais cet espoir et tous les autres sont à jamais détruits ; et puisque je ne suis pas digne de servir d’instrument pour une si grande œuvre, je ne désire guère habiter plus long-temps cette vallée de douleurs. — Adieu donc, lâche imbécile ! » dit Christian, incapable, avec tout son sang-froid, de dissimuler plus longtemps le mépris qu’il ressentait pour le fataliste résigné et découragé. « Faut-il que le sort m’ait enchaîné à de tels associés ! » murmura-t il en sortant. « Il est maintenant à peu près impossible de rappeler ce stupide bigot à rien de bon. Il faut que j’aille trouver Zarah ; car elle seule peut nous faire passer ce détroit dangereux. Si je puis seulement adoucir un peu son caractère revêche, et provoquer sa vanité, avec son adresse, la partialité du roi pour le duc, l’effronterie sans égale de Buckingham, et en tenant moi-même le gouvernail, nous pouvons encore faire face à l’orage qui grossit autour de nous. Mais pour agir sûrement, il faut agir promptement. »

Il trouva dans une autre pièce la personne qu’il cherchait, la même qui s’était introduite dans le harem du duc de Buckingham, et qui, ayant délivre Alice Bridgenorth de captivité, s’était mise à sa place, comme on l’a déjà rapporté, ou plutôt donné à entendre. Elle était alors vêtue beaucoup plus simplement que lorsqu’elle s’était plu à éveiller et à tromper la curiosité du duc par sa présence ; mais son costume conservait encore quelque chose d’oriental, qui était en harmonie avec le teint brun et les yeux vifs de celle qui le portait. Elle tenait un mouchoir sur ses yeux au moment où Christian entra dans la chambre ; mais elle l’en retira subitement, et, lançant sur lui un regard de mépris et d’indignation, lui demanda ce qu’il prétendait en s’introduisant ainsi dans un lieu où sa présence n’était ni demandée ni désirée.

« Question bien convenable, dit Christian, dans la bouche d’une