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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 19, 1838.djvu/211

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autant de cœur que vos ancêtres, vous trouveriez le moyen, dans quelque cour où l’amour des dames et la gloire des armes sont encore en honneur, de faire publier un tournoi dont votre main serait le prix, comme celle de votre bisaïeule d’heureuse mémoire, à la joute d’armes de Strasbourg ; vous vous assureriez ainsi la meilleure lance d’Europe, pour soutenir les droits de la maison de Croye contre l’oppression de la Bourgogne et la politique de la France. — Mais, belle tante, j’ai ouï dire à ma nourrice que, bien que le rhingrave se soit montré la meilleure lance au tournois de Strasbourg, et ait obtenu ainsi la main de ma bisaïeule d’heureuse mémoire, ce mariage ne fut pourtant pas heureux, attendu que souvent il la grondait et quelquefois même il la battait. — Et pourquoi non ? » s’écria la comtesse Hameline dans son enthousiasme romanesque pour la chevalerie ; « pourquoi ces bras victorieux, accoutumés à distribuer de bons horions hors de leurs châteaux, déposeraient-ils leur énergie en rentrant chez eux ? J’aimerais mille fois mieux être battue deux fois par jour par un mari dont le bras serait aussi redoutable aux autres qu’à moi-même, que d’être l’épouse d’un poltron qui n’oserait lever la main ni sur sa femme ni sur qui que ce fût. — Je vous souhaiterais beaucoup de plaisir avec un époux si turbulent, belle tante, et, bien certainement, sans envier votre sort ; car si des membres cassés sont l’ornement des tournois, il n’y a rien de moins agréable dans le boudoir d’une femme. — Oh mais ! les coups ne sont pas une conséquence nécessaire du mariage avec un chevalier de renom, quoiqu’il soit vrai que votre aïeul d’heureuse mémoire, le rhingrave Gottfried, fut un peu brusque et aimât un peu trop le vin du Rhin. Le parfait chevalier, le vrai chevalier est un agneau auprès des dames et un lion dans les combats. Il y avait Thibault de Montigny… Dieu veuille avoir son âme !… C’était la meilleure pâte d’homme que l’on pût voir, et non seulement il ne fut jamais assez discourtois pour lever la main sur sa femme, mais, par Notre-Dame ! lui qui battait tous ses ennemis en rase campagne, trouva chez lui une belle ennemie qui savait le battre. Eh bien ! ce fut sa faute. Il était un des tenants de la passe d’armes d’Haflinghem, et il s’y distingua tellement que, si telle eût été la volonté du ciel et de votre grand-père, il aurait pu y avoir une dame de Montigny dont les manières auraient mieux répondu à la douceur du caractère du bon chevalier. »

La comtesse Isabelle, qui avait quelque raison de se défier de