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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 19, 1838.djvu/210

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France et de celle de ses agents. C’est ainsi que nous avons été engagées à chercher un refuge en ce pays, lorsque nous aurions pu obtenir la protection de l’évêque de Liège avec moins de risque qu’à présent, ou nous mettre sous celle de Winceslas d’Allemagne, sous celle même du roi d’Angleterre. Et à quoi ont abouti les promesses du roi ? À nous cacher obscurément, honteusement, sous des noms plébéiens, comme des marchandises prohibées, dans cette misérable hôtellerie, où nous, et tu le sais, Marton, » ajouta-t-elle en s’adressant à sa femme de chambre, « nous qui n’avions jamais fait notre toilette que sous un dais ou sur une estrade à trois marches, nous avons été obligées de nous habiller debout, sur un simple plancher, comme si nous eussions été deux laitières. »

Marton convint que sa maîtresse disait une bien triste vérité.

— « Je voudrais que c’eût été là le plus grand mal, ma chère tante, reprit Isabelle ; je me serais bien passée de faste. — Mais non pas de société, ma chère nièce ; cela est impossible. — Je me serais passée de tout, » répondit Isabelle d’un ton de voix qui pénétra jusqu’à l’âme de son jeune protecteur ; « oui, de tout, pourvu qu’on m’eût accordé une retraite sûre et honorable. Je ne désire point… Dieu m’en est témoin !… je n’ai jamais désiré amener une guerre entre la France et la Bourgogne, ma patrie, ou que la vie d’un seul homme fût sacrifiée pour moi. Je ne demandais que la permission de me retirer dans le couvent de Marmoutier, ou dans quelque autre saint monastère. — C’était parler comme une véritable folle, belle nièce, et non comme la fille de mon noble frère. Il est heureux qu’il existe encore une personne qui possède quelque chose de l’esprit de la noble maison de Croye. Comment distinguerait-on une dame de haute naissance d’une laitière hâlée par le soleil, si ce n’est parce qu’on rompt des lances pour l’une, et des bâtons de coudrier pour l’autre ? Je vous dis, jeune fille, que lorsque j’étais à la fleur de mon printemps, à peine plus âgée que vous ne l’êtes aujourd’hui, la fameuse passe d’armes d’Aflinghem eut lieu en mon honneur. Les tenants étaient au nombre de quatre, et celui des assaillants alla jusqu’à douze ; elle dura trois jours, et coûta la vie à deux chevaliers ; une épine du dos, une clavicule furent fracturées, trois jambes et deux bras brisés : sans parler d’un si grand nombre de contusions que les hérauts d’armes ne purent les compter. Oui, c’est ainsi que les dames de notre maison ont toujours été honorées. Ah ! si vous aviez seulement moitié