Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 19, 1838.djvu/235

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

et qui aimait à entendre les étrangers parler de leur pays, invita Quentin, dont probablement la bonne mine et la conduite lui avaient plu, à venir faire une légère collation dans sa cellule. Ayant reconnu dans ce religieux un homme intelligent, Quentin ne négligea pas l’occasion de s’informer de l’état des affaires dans le pays de Liège, dont pendant les deux dernières journées de marche il avait entendu dire des choses qui lui donnaient des craintes pour la sûreté des dames confiées à sa garde, avant la fin du voyage, et qui lui laissaient même des doutes sur le pouvoir qu’avait l’évêque de les protéger, une fois qu’elles seraient arrivées saines et sauves dans son palais. Les réponses du prieur ne furent pas d’une nature très-rassurante.

— « Le peuple de Liège, disait-il, est un peuple de bourgeois riches, qui, comme Jéhu dans les temps anciens, se sont engraissés et regimbent aujourd’hui. Leurs richesses et leurs privilèges leur ont enflé le cœur. Ils ont eu diverses querelles avec le duc de Bourgogne, leur seigneur suzerain, au sujet des impôts et des immunités ; et ils se sont fréquemment mis en révolte ouverte. Le duc en a été tellement irrité, car c’est un homme bouillant et emporté, qu’il a juré par saint George, qu’à la première provocation il porterait dans la ville de Liège la désolation dont a été affligée Babylone, qu’il la ruinerait aussi complètement qu’a été ruinée celle de Tyr ; en un mot, qu’il en ferait un objet de mépris et de honte pour toute la Flandre. — Et d’après tout ce que j’en ai entendu raconter, ce prince est bien capable de tenir son serment, dit Quentin ; par conséquent il est probable que les Liégeois se garderont bien de lui en fournir l’occasion. — On devrait l’espérer, répondit le prieur, et c’est là l’objet des prières des saintes âmes du pays, qui ne voudraient pas que le sang des hommes fût répandu comme de l’eau, et qu’ils périssent comme des êtres entièrement réprouvés, avant d’avoir fait leur paix avec le ciel. Le bon évêque travaille aussi nuit et jour à conserver la paix, comme il convient à un serviteur de l’autel ; car, comme il est dit dans l’Écriture : Beati pacifici. Mais… » Ici le bon prieur s’interrompit en poussant un profond soupir.

Quentin exposa avec modestie de quelle importance il était pour les dames qu’il accompagnait d’obtenir des renseignements positifs sur l’état intérieur du pays, ajoutant que le digne et révérend père ferait un grand acte de charité chrétienne s’il voulait bien l’éclairer sur ce sujet.