Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 19, 1838.djvu/24

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au propriétaire la mortification manifeste qu’il éprouva en recevant un hôte dans l’asile qu’il s’était formé au milieu des ruines du palais de ses ancêtres. Avec une gaieté sous laquelle il cherchait en vain à cacher un sentiment plus profond, il m’avait insensiblement préparé à la vue du lieu que je devais visiter, et il en eut même encore tout le temps, le jour où il me conduisit dans son petit cabriolet, attelé d’un gros et lourd cheval normand, vers cette antique demeure de ses pères.

Les restes de ce château reposent sur un magnifique plateau qui domine le cours de la Loire, et dont la pente, rachetée par des escaliers de pierres ornés de statues, de rocailles, et autres embellissements artificiels, forme plusieurs terrasses qui conduisent de degré en degré jusqu’au bord du fleuve. Toute cette décoration architecturale, ainsi que les parterres remplis de fleurs brillantes, de plantes curieuses et d’arbrisseaux exotiques, avaient depuis plusieurs années fait place aux objets plus utiles des travaux du vigneron ; cependant les restes de ces constructions, trop solides pour pouvoir être complètement détruites, prouvaient combien l’art avait été judicieusement employé pour embellir la nature.

Aujourd’hui il est peu de ces maisons de plaisance qui soient parfaitement conservées ; car l’inconstance de la mode a opéré en Angleterre un changement aussi complet que celui que le génie de la dévastation et la fureur populaire ont produit en France. Quant à moi, je me contente de souscrire à l’opinion du juge le plus éclairé de notre époque[1], qui pense que nous avons porté beaucoup trop loin notre amour pour la simplicité, et que les alentours d’un édifice imposant exigent des embellissements plus recherchés que ceux qui sont dus à de futiles ornements de gazon et de sable. Un site éminemment pittoresque serait probablement dégradé par l’introduction de ces ornements artificiels ; mais il en est beaucoup d’autres où l’intervention d’un plus grand nombre d’ornements d’architecture qu’il n’est d’usage d’en employer aujourd’hui, me paraît nécessaire pour racheter la nudité uniforme d’une haute maison qui s’élève isolément au milieu d’une pelouse, où elle ne paraît pas plus en rapport avec ce qui l’environne que si elle était sortie de la ville pour aller se promener dans la campagne.

  1. Voyez l’Essai sur le pittoresque de Price, et surtout le détail curieux des sensations qu’il éprouva lorsque, sur l’avis d’un amateur, il détruisit un ancien jardin, avec ses haies d’ifs, ses grilles de fer et ses sombres allées, lui ôtant ainsi son air de solitude. a. m.