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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 19, 1838.djvu/334

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lui frappant sur l’épaule, « croyez-moi, oubliez tout cela : ne vous rappelez cette jeune dame que comme l’honorable comtesse de Croye, et perdez tout souvenir de la damoiselle errante et aventurière : ses amis (et je puis au moins vous répondre d’un) ne se souviendront que des services que vous lui avez rendus, et oublieront la récompense déraisonnable à laquelle vous avez eu la témérité de prétendre. »

Dépité de n’avoir pu cacher au pénétrant Crèvecœur des sentiments que ce dernier paraissait n’envisager que comme un sujet de raillerie et de ridicule, Quentin répliqua avec une expression de fierté offensée : « Comte, quand j’aurai besoin de vos avis, je vous les demanderai ; quand j’implorerai votre assistance, il sera assez temps de me la refuser ; et quand j’attacherai une valeur particulière à l’opinion que vous pouvez avoir de moi, il ne sera pas trop tard pour l’exprimer. — Oui-da ! s’écria le comte, me voici entre Amadis et Oriane, et je dois m’attendre à un défi ! — Vous parlez comme si cela était impossible. Quand j’ai rompu une lance avec le duc d’Orléans, j’avais pour adversaire un homme dans le sein duquel coule un sang beaucoup plus noble que celui de Crèvecœur ; et quand j’ai mesuré mon épée avec celle de Dunois, je combattais contre un guerrier qui lui est bien supérieur. — Que le ciel mûrisse ton jugement, mon bon jeune homme ! Si tu dis la vérité, tu as reçu une faveur singulière de la fortune ; et, en vérité, s’il plaît à la Providence de te destiner à de pareilles épreuves avant que tu aies de la barbe au menton, la vanité te rendra fou avant que tu puisses te dire un homme. Tu peux me faire rire, mais non me mettre en colère. Crois-moi, quoique, par un de ces caprices que la fortune montre quelquefois, tu aies combattu contre des princes et aies été le champion d’une comtesse, tu n’es nullement l’égal de ceux dont, par un effet du hasard, tu es devenu l’adversaire, et dont un hasard plus extraordinaire encore t’a fait devenir le compagnon. Je puis te permettre, comme à un jeune homme qui s’est nourri l’esprit de la lecture des romans jusqu’au point de rêver qu’il est un paladin, de continuer pendant quelque temps tes jolis songes, mais il ne faut pas te fâcher contre un ami bienveillant s’il te secoue un peu rudement par les épaules pour t’éveiller. — Ma famille, monsieur le comte… — Ce n’est pas de ta famille que je parle ; je parle de rang, de fortune, d’élévation, et de tout ce qui établit une distance marquée entre les hommes. Quant à la naissance, tous les hommes des-