Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 19, 1838.djvu/348

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fonde que la générosité du duc Philippe et la vôtre, mon cher cousin, firent sur le cœur à moitié brisé du pauvre exilé ; non, jamais elle ne s’effacera de mon cœur. — Votre Majesté, » dit le duc faisant un effort sur lui-même pour trouver une réponse convenable ; « Votre Majesté a reconnu cette légère obligation en termes qui ont surpassé en magnificence toute celle que la Bourgogne a pu déployer pour prouver qu’elle sentait comme elle devait le faire, l’honneur que vous aviez bien voulu accorder à son souverain. — Je me rappelle les termes dont vous voulez parler, beau cousin, » reprit le roi en souriant ; « c’était qu’en échange d’une si précieuse marque d’amitié, je n’avais autre chose à vous offrir, pauvre exilé que j’étais alors ! que ma personne, celles de ma femme et de mon enfant. Eh bien ! je crois que j’ai assez bien exécuté ma parole. — Je n’ai pas l’intention de contredire en rien ce qu’il plaît à Votre Majesté d’avancer, mais… — Mais vous demandez, » reprit le roi en l’interrompant, « comment mes actions ont répondu à mes paroles. Le voici : le corps de mon fils Joachim repose sous une terre bourguignonne ; j’ai placé ce matin, sans aucune réserve, ma personne en votre pouvoir ; et quant à celle de ma femme, en vérité, beau cousin, je crois que, vu le temps qui s’est écoulé depuis cette époque, vous n’insisterez pas pour que je remplisse rigoureusement mes engagements à cet égard. Elle est née le saint jour de l’Annonciation, » continua-t-il en faisant un signe de croix et en murmurant un ora pro nobis, « il y a quelques cinquante ans ; mais elle n’est pas plus loin que Reims ; et si vous tenez absolument à ce que ma promesse soit exécutée à la lettre, elle sera incessamment à votre bon plaisir. »

Quelque courroucé que fût le duc de l’hypocrisie avec laquelle le roi prenait à son égard le ton de l’amitié et de la plus étroite intimité, il ne put s’empêcher de rire de la réplique singulière de ce monarque, et cet accès de gaieté se manifesta par des accords aussi discordants que ceux de la colère à laquelle il se livrait si souvent. Après avoir ri beaucoup plus long-temps et d’une manière plus bruyante que la bienséance ne le permettrait aujourd’hui et ne le permettait même à cette époque, il répondit sur le même ton, mais d’une manière moins fine et moins piquante, qu’il ne pouvait accepter l’honneur que lui faisait le roi en lui proposant la compagnie de la reine, mais qu’en revanche il accepterait très-volontiers celle de sa fille aînée, dont partout on vantait la beauté.