Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 19, 1838.djvu/469

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La comtesse de Crèvecœur reprocha gravement à son mari une sortie si violente ; « de la Marck, dit-elle, peut avoir trompé la comtesse Hameline par une apparence de courtoisie. — Lui ! montrer seulement une ombre de courtoisie ! s’écria le comte ; je le proclame innocent du crime de dissimulation sur un tel sujet. De la courtoisie ! autant vaudrait en attendre d’un véritable sanglier, autant vaudrait essayer d’appliquer une feuille d’or sur la rouille d’un vieux carcan, ou sur la chaîne à laquelle il est attaché. Non, non, toute folle qu’elle est, Hameline n’est pas assez sotte pour s’éprendre de la bête fauve qui l’a saisie et qui la retient dans sa propre tanière. Mais vous autres femmes, vous êtes toutes de la même étoffe : quelques belles paroles suffisent pour réussir auprès de vous ; et j’ose dire que ma jolie cousine meurt d’impatience d’aller se réunir à sa tante dans ce paradis des sots, et d’épouser le marcassin. — Bien loin d’être capable d’une telle folie, dit Isabelle, je désire doublement la punition de l’assassin du bon évêque, afin que ma tante soit tirée des mains de ce scélérat. — En ce moment je reconnais la voix d’une de Croye, » s’écria le comte. Et il ne fut plus question de la lettre.

Mais il est à propos de faire observer qu’en lisant cette épître à ses amis, Isabelle ne crut pas nécessaire de leur communiquer un certain post-scriptum dans lequel sa tante, en véritable femme, lui faisant le détail de ses occupations, disait qu’elle avait pour le moment suspendu la broderie d’un surtout destiné par elle à son mari, et qui porterait les armes de Croye et de la Marck réunies, avec un pal en travers, en témoignage de leur alliance conjugale ; attendu que son Guillaume avait résolu, par des motifs qu’il tenait secrets, de faire porter ses armes et son costume par quelques-uns de ses gens, dans la première affaire qui aurait lieu, et de prendre lui-même les armoiries d’Orléans, avec la barre d’illégitimité ; en d’autres termes, celles de Dunois. Dans la lettre était aussi enfermé un petit billet, dont Isabelle ne jugea pas à propos de communiquer le contenu, qui ne consistait qu’en ce peu de mots, tracés par une main étrangère : « Si vous n’entendez pas bientôt la renommée parler de moi, concluez-en que je suis mort, mais d’une manière digne de vous. »

Une pensée, qu’elle avait jusqu’alors repoussée comme tout à fait invraisemblable, se présenta à l’imagination d’Isabelle, avec une nouvelle force ; et comme l’esprit d’une femme manque rarement de trouver les moyens de mettre ses projets à exécution,