Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 19, 1838.djvu/89

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effrayer par la bouteille, si tu veux qu’il te pousse de la barbe au menton et avoir l’air d’un soldat. Mais allons, voyons, courrier écossais, ouvre ta malle, et donne-nous des nouvelles de Glen-Houlakin. Comment se porte ma sœur ? — Elle est morte, bel oncle, » répondit douloureusement Quentin. — « Morte ! » répéta son oncle d’un ton qui exprimait plus d’étonnement que de chagrin. « Eh ! mais elle était de cinq ans plus jeune que moi, et jamais de la vie je ne me suis mieux porté. Morte ! cela n’est pas possible ! Je n’ai jamais eu même un mal de tête, excepté après une ribote de deux ou trois jours avec les frères de la joyeuse science, lorsque mon service me le permet… Ainsi donc, ma pauvre sœur est morte !… Et votre père, beau neveu, s’est-il remarié ? »

Avant que le jeune homme pût articuler un mot, il lut sa réponse dans la surprise que lui causait cette question, et ajouta : « Comment il n’est pas remarié ? J’aurais juré qu’Allan Durward n’était pas homme à vivre sans femme. Il aimait à voir sa maison en ordre… Il aimait à regarder une jolie femme, quoiqu’il eût une certaine austérité de mœurs… Le mariage lui procurait toutes ces choses. Quant à moi, je me soucie fort peu d’un pareil bonheur, et je puis regarder une jolie femme sans songer au sacrement… Ma sainteté ne s’étend pas jusque-là. — Hélas ! mon cher oncle, ma mère était veuve depuis près d’un an, c’est-à-dire, depuis l’époque où Glen-Houlakin fut pillé par les Ogilvies[1]. Mon père, mes deux oncles, mes deux frères aînés, sept de nos parents, le ménestrel, l’intendant, et environ six autres de nos gens, furent tués en défendant le château. Il ne resta ni un seul foyer ni une seule pierre debout dans tout Glen-Houlakin. — Par la croix de saint André ! voilà ce que j’appelle une véritable boucherie. Oui, ces Ogilvies ont toujours été de mauvais voisins pour Glen-Houlakin. Ce fut une bien mauvaise chance ; mais le sort de la guerre… le sort de la guerre… Quand ce malheur arriva-t-il, beau neveu ? »

En parlant ainsi, il avala un grand verre de vin ; et il secoua la tête avec beaucoup de solennité lorsque son neveu lui répondit que la Saint-Jude était le jour anniversaire du désastre de sa famille.

« Eh bien ! voyez un peu, dit le soldat ; avais-je tort de dire que tout n’était que chance ?… C’est justement ce jour-là que moi et vingt de mes camarades nous avons emporté d’assaut le château de Roche-Noire, appartenant à Amaury Bras-de-Fer, capitaine

  1. Nom d’une ancienne tribu écossaise, ennemie de celle des Durward. a. m.