Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 2, 1838.djvu/179

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— Les prix ont été bien élevés cette fois aux foires de Doune et de Falkirk, » reprit Robin.

La conversation continua ainsi jusqu’à ce qu’ils fussent convenus du juste prix des six bœufs ; le gentilhomme comprenant dans l’arrangement l’usage momentané de son parc pour les bestiaux, et Robin faisant, selon lui, un très-bon marché, pourvu toutefois que l’herbe fût passable. M. Ireby mit son cheval au pas, tant pour montrer le chemin au bouvier et le mettre en possession du parc, que pour apprendre de lui les dernières nouvelles qui s’étaient débitées aux foires du nord.

Arrivés au champ, le pâturage parut excellent ; mais quelle fut leur surprise, quand ils virent le bailli introduisant tranquillement le troupeau de Harry Wakefield dans ces mêmes pâturages, qui venaient d’être loués à celui de Robin Oig par le propriétaire lui-même ! Ireby, donnant un coup d’éperon à son cheval, s’avança vers le bailli, et apprenant ce qui avait eu lieu entre Harry Wakefield et lui, informa, en peu de mots le bouvier anglais que ce terrain lui avait été loué sans son autorisation, et qu’il pouvait chercher du pâturage où bon lui semblerait, attendu qu’il n’y en avait pas là pour lui. En même temps il fit une semonce sévère au bailli pour avoir osé transgresser ses ordres ; il lui enjoignit d’aider à l’instant à faire évacuer les bestiaux affamés et fatigués de Harry Wakefield, qui venaient justement, à leur grande joie, de commencer un repas abondant, et lui donna ordre d’introduire le troupeau de Robin, que le bouvier anglais parut dès ce moment considérer comme un rival.

Les sentiments qui s’élevèrent dans le cœur de Wakefield le poussaient à résister aux ordres de M. Ireby ; mais tout Anglais a une idée assez exacte des lois et de la justice, et le bailli John Fleecebumpkin, reconnaissant qu’il avait outrepassé les limites de son pouvoir, Wakefield sentit qu’il n’avait rien de mieux à faire que de rassembler son troupeau affamé et d’aller chercher à parquer ailleurs. Robin Oig, voyant à regret ce qui était arrivé, s’empressa d’offrir à son ami de partager avec lui le champ disputé. Mais l’orgueil de l’Anglais était trop cruellement blessé pour qu’il acceptât ; il répondit d’un air de dédain : « Prends tout, prends : il ne faut pas faire deux bouchées d’une cerise ; tu sais parler mielleusement aux maîtres, et jeter de la poudre aux yeux des gens simples… Honte sur toi, Robin ! je ne voudrais pas baiser les souliers de qui que ce fût pour avoir la permission de cuire dans son four. »