Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 2, 1838.djvu/223

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ment que le temps vînt jeter quelques lumières sur la personne et l’histoire de son hôtesse. Il y avait déjà quatre semaines que l’étrangère demeurait chez lui, et son rétablissement pouvait être considéré comme parfait, lorsque Grey, revenant d’une de ses visites, à dix milles de chez lui, aperçut à sa porte une chaise de poste avec quatre chevaux : « Cet homme est venu, dit-il, et mes soupçons l’ont traité plus mal qu’il ne méritait. » Sur ce, il piqua son cheval, avertissement auquel la fidèle bête obéit avec d’autant plus de plaisir, que sa course était dans la direction de l’écurie. Mais lorsque, descendant de son coursier, le docteur se hâta d’entrer dans sa maison, il lui sembla que le départ de cette malheureuse dame était destiné, aussi bien que son arrivée, à introduire la confusion dans sa paisible demeure. Quelques désœuvrés s’étaient rassemblés à sa porte, et deux ou trois d’entre eux avaient eu l’impudence de s’avancer jusque dans l’allée, pour écouter une bruyante altercation qu’on entendait à l’intérieur.

Grey se montra aussitôt, fit battre en retraite les premiers intrus, et se précipita d’autant plus vite dans sa maison, qu’il reconnut le ton de la voix de sa femme, monté à une hauteur qu’il savait par expérience ne rien augurer de bon ; car mistress Grey, d’humeur douce et traitable en général, faisait parfois la partie de dessus dans le duo matrimonial. Beaucoup plus confiant dans les bonnes intentions de sa femme que dans sa prudence, il ne perdit pas de temps, et courut tout droit au parloir pour prendre l’affaire entre ses propres mains. Il y trouva mistress Grey, à la tête de toute la milice casernée dans la chambre de la dame malade, savoir la nourrice de l’enfant, la garde de la mère et une servante, engagée dans une violente dispute avec deux étrangers. L’un était un vieillard à teint basané ; il portait dans ses yeux une expression de finesse et de sévérité qui semblait alors en partie éteinte par un mélange de chagrin et de mortification. L’autre, qui paraissait soutenir rudement la dispute avec mistress Grey, était un individu vigoureux, à l’air résolu, aux traits durs, et armé de pistolets, qu’il mettait en évidence plutôt par ostentation que par nécessité.

« Voilà mon mari, monsieur, » dit mistress Grey d’un ton de triomphe (car elle avait le bonheur de considérer le docteur comme un des plus grands hommes vivants…) ; « voilà le docteur, voyons un peu ce que vous direz maintenant.

— Ma foi, rien que je n’aie déjà dit, madame, répliqua l’hom-