Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 2, 1838.djvu/366

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rues où le nouveau killedar devait le suivre sur un éléphant, autre présent d’usage en pareille occasion, qu’on fit alors avancer, pour que les assistants admirassent la magnificence du prince.

Le gigantesque animal s’approcha de la plate-forme en agitant son énorme tête ridée, qu’il levait et qu’il abaissait comme par impatience, et en redressant sa trompe de temps à autre, comme pour montrer le gouffre de sa bouche sans langue.

Se retirant avec grâce et de l’air du plus profond respect, le killedar, charmé que la cérémonie fut enfin terminée, se tenait debout près du cou de l’éléphant, attendant que l’animal s’agenouillât à l’ordre de son cornac pour monter sur le howdah doré qui lui était destiné.

« Arrête ! Féringi, s’écria Hyder. Tu as reçu tout ce qui t’avait été promis par la bonté de Tippoo ; accepte maintenant ce qui est le fruit de la justice d’Hyder. »

À ces mots, il fit un signe avec le doigt, et le conducteur de l’éléphant fit aussitôt comprendre à l’animal la volonté du nabab. Entortillant sa longue trompe autour du cou du malheureux Européen, l’éléphant terrassa en un clin d’œil le misérable Richard devant lui, et, appuyant ses larges pieds difformes sur sa poitrine, il mit fin en même temps à sa vie et à ses crimes. Le cri que poussa la victime fut comme contrefait par le rugissement de l’animal, et un son assez semblable à un rire convulsif accompagné d’un cri perçant, partit de dessous le voile de la bégum. L’éléphant releva sa trompe en l’air, et répéta un de ses horribles bâillements.

Les courtisans gardaient un profond silence ; mais Tippoo, qui avait reçu quelques gouttes du sang de la victime sur sa robe de mousseline, la montra au nabab, en s’écriant d’un ton douloureux et presque irrité : Mon père… mon père… était-ce ainsi que ma promesse devait être tenue ?… »

« Apprends, jeune insensé, répliqua Hyder-Ali, que l’homme dont le cadavre gît à tes pieds avait formé le complot de livrer Bangalore aux Féringis et aux Mahrattes. Cette bégum… (elle tressaillit lorsqu’elle s’entendit nommer) nous a averti du complot, et a mérité ainsi son pardon d’y avoir trempé dans l’origine. L’a-t-elle fait seulement par amitié pour nous, c’est une chose que nous ne rechercherons pas trop soigneusement… Qu’on fasse disparaître ce tas de boue ensanglantée, et qu’on m’amène Hartley le hakim, et le vakeel anglais. »