Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 20, 1838.djvu/120

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— Silence, femme ! silence ! » dit l’aveugle d’un ton fâché en secouant la tête ; « ne fatiguez pas monsieur avec votre babillage. Rester dans une maison et jouer au beau monde ! — prendre l’archet quand il plaît à milady, et le déposer quand milord l’ordonne ! Non, non, ce n’est pas vivre pour Willie. Regarde donc, Meggie — vois donc, femme, si tu vois venir Robin. — Le diable l’emporte ! il se sera mis sous le vent du bol à punch de quelque contrebandier, et n’en bougera pas de la nuit, j’en suis sûr.

— C’est l’instrument de votre camarade, dis-je ; voulez-vous me permettre d’essayer mon talent ? » Je glissai en même temps un shilling dans la main de la femme.

« Je ne sais si je dois vous confier le violon de Robin, » répliqua Willie brusquement. Sa femme lui poussa le coude. « Finissez, Meggie, » continua-t-il, dédaignant l’avis qu’elle lui donnait ; « quoique monsieur vous ait donné de l’argent, il peut bien ne pas avoir la main faite à l’archet, et je ne confierai pas le violon de Robin à un ignoramus. — Mais ce n’est pas encore si mal, » ajouta-t-il, comme je commençais à jouer ; « je crois que vous vous y entendez un peu. »

Pour le confirmer dans cette favorable opinion, je me mis à exécuter un air martial si compliqué que je m’attendais à changer le Crowdero[1] en pierre, d’envie et d’étonnement. Je montai au plus haut de l’octave, pour redescendre aussitôt au plus bas ; je fis voler mes doigts sur les cordes ; — j’accumulai tours de force sur tours de force ; — je combinai arpégements et sons harmoniques, mais sans exciter aucunement la surprise dont je m’étais flatté.

Willie, à vrai dire, m’écouta avec beaucoup d’attention ; mais je n’eus pas plus tôt fini qu’il imita, sur son propre violon, la complication bizarre de sons que j’avais produits, et fit une parodie si grotesque de mon jeu que je ne pus m’empêcher de rire de bon cœur, quoique je fusse un peu piqué. Benjie se hâta de faire chorus avec moi, oubliant le respect qu’il me devait ; tandis que la pauvre femme, craignant sans doute que je ne m’offensasse de cette familiarité, semblait partagée entre sa vénération conjugale pour son Willie et le désir de lui donner un avis pour sa gouverne.

Enfin, le vieillard s’arrêta de son plein gré, et, comme s’il m’eût suffisamment censuré par sa parodie, il ajouta : « Mais, malgré tout, vous ne joueriez pas mal avec un peu de pratique et

  1. Nom d’un ménétrier dans Hudibras, poème burlesque de Butler. a. m.