Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 20, 1838.djvu/71

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tenir à distance, lorsque mon compagnon éleva sa voix sonore d’une façon si subite et si terrible que je retrouvai aussitôt le fil de mes pensées, et s’écria : « Au nom du diable, jeune homme, croyez-vous que les autres ne puissent pas employer leur temps mieux que vous, pour m’obliger à vous répéter trois fois la même chose ? — Voyez-vous, reprit-il, cet objet à un mille d’ici, qui ressemble à un poteau de route ou plutôt à un gibet ? — Je voudrais qu’on y pendît un sot rêveur, pour servir d’exemple aux jeunes gens distraits ! — Cette poutre, qui a l’air d’une potence, vous conduira au pont où vous pourrez traverser ce large ruisseau ; puis suivez toujours tout droit, jusqu’à ce que la route se divise en plusieurs embranchements, près d’un gros tas de pierres. — Peste soit de vous, encore une distraction ! »

C’était la pure vérité ; en ce moment le cavalier approchait de nous, et mon attention se porta tout entière sur lui, tandis que je me dérangeais pour le laisser passer. À son extérieur, on reconnaissait facilement qu’il appartenait à la société des Amis, ou, comme on les nomme plus communément, des Quakers. Un vigoureux cheval gris de fer montrait, par son poil luisant et sa bonne tenue, que l’homme miséricordieux était plein de miséricorde pour sa bête. L’habillement du cavalier ne présentait aucun luxe extraordinaire, mais la propreté et l’ordre bien entendus qui caractérisent ces sectaires. Son long surtout de drap gris superflu lui descendait jusqu’à mi-jambes, et était boutonné jusqu’au menton, pour le défendre de l’air du matin. Suivant leur usage, un ample chapeau à bords retombants, sans ruban ni usage, ombrageait sa belle et paisible figure, dont la gravité paraissait tempérée par un certain assaisonnement de bonne humeur, et n’avait rien de commun avec l’air pincé et puritain qu’affectent les dévots en général. Son front était ouvert, et ni l’âge ni l’hypocrisie ne l’avaient sillonné de rides. Son regard était franc, calme et tranquille : pourtant il semblait être troublé par une espèce d’appréhension, pour ne pas dire de crainte, et en prononçant : « Je te souhaite le bonjour, ami, » il dirigea son cheval vers le bord extrême du chemin, et témoigna ainsi son désir de nous déranger le moins possible, — comme ferait un voyageur pour passer devant un mâtin aux pacifiques intentions duquel il n’oserait guère se fier.

Mais mon hôte, ne voulant sans doute pas qu’il se tirât aussi aisément d’affaire, barra de telle sorte le chemin avec son pro-